BUSE (Brevet Universel de Séméiologie Élémentaire)

Les stagiaires de 3ème sont rentrés chez eux pour fêter Noël. Mais le sachiez-tu, l’hôpital aussi accueille des stagiaires : des stagiaires de 2ème.
Fraîchement émoulus des affres du concours de première année, les étudiants en médecine classés en rang utile accèdent à l’étape suivante et deviennent des « P2 ». Nombre d’entre eux, et dans une certaine mesure votre serviteur en son temps, considèrent traditionnellement cette année comme plus ou moins sabbatique ; lourd sera le parpaing de la réalité des examens de physiologie respiratoire du premier trimestre sur la tartelette aux fraises de leurs illusions.
En revanche, avec un enthousiasme un peu plus consensuel, la 2ème année de médecine est l’occasion de faire ses premières armes à l’hôpital, sous la forme du stage de séméiologie : apprendre à interroger et examiner physiquement un patient, puis rédiger une observation dans le dossier médical (tadaaaam).

Les P2 à l’hôpital se reconnaissent aisément en cela qu’ils portent une blouse blanche immaculée et pas encore froissée, sans badge à la poitrine mais un petit bout de sparadrap avec leur nom écrit au stylo. On les aperçoit généralement en troupeau (d’aucuns prétendent les repérer à leurs bêlements), thrombosant les couloirs comme une phlébite la veine saphène, et se déplaçant avec une démarche hésitant encore entre la fierté de l’uniforme et la timidité du néophyte (sauf les futurs chirurgiens orthopédiques, qui sont nés avec une délétion des gènes de l’hésitation et du manque de confiance en soi).
Je ne faisais probablement pas exception à la règle lors de mon premier jour, dans mes souliers ayant soudainement perdu une ou deux pointures, cherchant fébrilement avec mes congénères l’unité de dermatologie à laquelle nous avions été assignés. Là bas, nous attendait la chef de clinique qui, deux matinées par semaines pendant les mois suivants, serait chargée de nous apprendre à examiner un patient (car oui, une bonne fois pour toutes, les dermatologues sont capables d’enseigner la médecine, et les plus freudiens d’entre vous y verront même les prémices de mon amour, jamais démenti depuis, pour certains spécimens de leur congrégation).

Avant de déranger de vrais patients, il est de coutume de s’entraîner d’abord sur des sujets sains, à savoir : ses petits camarades. Oui enfin ça, c’est la théorie, pas toujours vérifiée quand on est le seul garçon entouré par quatre consœurs trop pudiques ou présupposées l’être en raison de leur sexe féminin : « Mmmh, qui va se mettre torse nu pour qu’on écoute les bruits du cœur ? Tiens, toi. » « Qui est d’accord pour se faire palper le ventre ? » Et ainsi de suite…
Voici l’excuse que j’ai toujours présentée les fois où je suis passé à côté de quelque chose en soignant un patient : c’est la faute des femmes (vous noterez qu’elles sont aussi la cause des déserts médicaux, de toute façon ça ne vous coûte pas grand-chose de la tenter si un jour vous êtes en mauvaise posture, ça fonctionne potentiellement dans plein d’autres situations).

En ces matinées de stage, l’hôpital était également le terrain de curieuses transactions. Il n’était pas rare de voir un chef de clinique, entouré de cinq ou six agneaux, tenter de les troquer avec un collègue : « Je peux te laisser mes étudiants ce matin ? Tu pourras leur montrer l’examen neurologique dans le détail comme ça, et jeudi je m’occuperai des tiens (allez vas-y, regarde c’est une affaire, ils ont des belles dents et savent se servir d’une trouilloteuse). » Au vu de mon statut de cobaye perpétuel, j’ai en ces occasions béni l’absence de service d’urologie dans mon CHU.
Nous allions alors défiler dans des chambres de patients qui présentaient un signe « intéressant ». En général, ceux-ci se prêtaient volontiers à l’exercice (tout du moins quand la situation le permettait ou quand ils étaient prévenus), et se laissaient examiner une Xième fois par un petit groupe de blouses blanches, chacune encore plus pataude que l’externe de la veille (qui était bien gentil mais avait déjà un peu deux mains gauches).
Le principe de ces échanges de service à service était plutôt sympa à vrai dire, ça nous permettait de balayer un champ plus large de la séméiologie, et c’était surtout un moyen acceptable pour que quelqu’un s’occupe quand même de nous lorsque l’une des deux matinées de stage tombait sur le jour de consultation du chef de clinique. Tout le monde n’avait pas cette chance.

C’est ainsi qu’une fois devenus externes les années suivantes, on nous chargeait parfois de distraire les nouveaux oisillons. Nous étions généralement ravis d’avoir des nouveaux compagnons pour aller à la cafeteria de faire semblant de savoir des trucs, leur montrer le maniement du marteau réflexe, et aussi leur refourguer nos ECG à faire en leur faisant croire que c’était super. Ainsi certains P2 devenaient les externes des externes, ce qui n’est probablement pas le statut le plus enviable de l’hôpital.

C’est ainsi qu’une fois devenus internes les années encore d’après, on nous collait parfois les morbaques dans les pattes alors que pffff on avait quand même une salle à faire tourner et que c’était pas notre rôle quoi merde à la fin.
« Alors, chambre 3, monsieur Jean-Pierre Monlatin, il a été hospitalisé pour une pneumonie bactérienne, maintenant il est apyrétique sous antibiotiques, je vais vous faire écouter ses crépitants s’il est d’accord.
– Il est apyré-quoi ? »
[OMFG ça va être long cette visite…]

Et puis un jour, je suis devenu moi-même chef de clinique. Fort d’une formation théorique cumulée de zéro heure sur l’enseignement et la pédagogie, je m’apprêtais à recevoir « mes » P2 pour leur premier jour, grisé à l’idée de modeler une future génération de médecins (ou presque).
Bon alors déjà on n’a pas commencé tout de suite, parce qu’il fallait d’abord qu’ils aillent chercher des blouses et qu’ils se sont perdus sur le chemin du retour. Ensuite, ben on a failli pas commencer du tout : « Ah bon, il fallait que j’amène mon stéthoscope ? Ah moi on m’a dit de venir, pas de venir avec un stéthoscope, pourquoi il fallait que j’en prende ? » J’ai tenté de mûrir un peu ma réponse, choisissant entre plusieurs allégories possibles : un plombier tentant d’effectuer son travail sans sa clef à molette, Rocco Siffredi Arthur Weasley sans sa baguette magique, Vic Mackey sans son gros pistolet (sauf à la fin du dernier épisode, évidemment). Mais j’ai décidé d’attendre encore quelques minutes avant de passer pour un gros connard prétentieux, j’ai dit que oui, on en aurait besoin, mais que c’était pas grave on allait se les prêter avec ceux qui en avaient, compagnonnage et camaraderie, toussa toussa.

Ensuite j’ai fait comme tout le monde : j’ai fait comme j’ai pu, avec de la bonne volonté. Et le cycle a redémarré chaque année. Je devenais probablement meilleur à chaque fois (enfin j’espère). Quant aux premiers P2 passés entre mes mains, ils vont bientôt passer l’ECN. Ces petites choses poussent si vite, on les a connus si mignons, si fragiles, s’extasiant devant un réflexe tricipital comme un Homo Erectus découvrant le feu, et les voilà déjà prêts à quitter le nid, ne manquant jamais une occasion pour vous poser une question embarrassante sur le syndrome de Schmürtz ou des anticorps anti-poils de cul. Petits cons ingrats va !

17 réflexions sur “BUSE (Brevet Universel de Séméiologie Élémentaire)

  1. Pingback: Les poupées russes | La Crabahuteuse

  2. Pingback: Vol au-dessus d’un nid de foufous (2) : Un jour sans fin | 2 Garçons, 1 Fille : 3 Sensibilités

  3. Le cycle de la vie des blouses blanches à l’hôpital ! Se souvient-on du P2 qu’on était lorsqu’un jour, il faut prendre en charge « les P2 » ? (D’ailleurs, avec la réforme, maintenant, on dit DFGSM 2 ou G2 pour les intimes :p). Enfin, voilà bien un article sympathique, drôle à souhait, et fort intéressant ;). Merci !

    • Merci à toi.
      Je crois qu’effectivement il ne faut pas oublier le P2 qu’on a été si on fait de l’enseignement. J’essaye modestement en tout cas.

      Pour le DFGSM, j’avais commencé à en parler un peu mais ça alourdissait le billet, on essaye de préparer un petit mémo pour plus tard. Stay tuned ;)

  4. Il manque une precision importante, la taille de la blouse! Je me souviens d’avoir flotté dans ma blouse taille 6 (voire 5 les bonnes semaines) avec mes 50kg avec sthéto
    Et arrivée cca (avec enfin une blouse taille 1, privilège de l’expérience), je me souviens avoir révisé ma semio neuro la veille de prendre mes P2 avant d’effectuer mes transactions secrètes avec la neuro.
    Très chouette article, merci

  5. Si seulement, en tant qu’ orthopédiste, je pouvais avoir cette délétion génétique… Je crois que je dormirais mieux! Excellent article, je revois mes petits P2 si naïfs et osant à peine d’examiner les uns les autres, trois mignons!

    • Merci pour ce commentaire, néanmoins :
      1- on vous trouve beaucoup trop choupi pour un(e) vrai(e) orthopédiste ;
      2- du coup on a super envie de vous faire un caryotype, pour voir ;
      3- si vraiment vous êtes orthopédiste on vous demande pardon par avance pour les blagues récurrentes sur votre profession qui reviendront au fil des futurs billets ;-)

  6. J’aime bien ce tumbler !
    Tu n’as pas parlé des pauvres p2 qui se retrouvent à passer la matinée à assister à un cours magistral dans le service… (oui, malheureusement).

    Et, chose particulièrement cool (pour le CCA, du coup) c’était en médecine interne, où un généraliste (bouh !) à la retraite venait sur son temps libre nous faire les matinées de séméio (et honnêtement, c’était extra).

  7. J’aime vraiment beaucoup ce blog!
    En septembre, je vais rentrer en PACES (j’ai peur!) et j’espère vraiment réussir!
    Je penserai au stéthoscope, haha ;D

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