Merci pour ce moment

Quand un couple arrive à la fin du printemps avec déjà un pied dans l’automne (42 pour moi, 38 pour ma moitié) et qu’il cherche à avoir un enfant, ce n’est pas aussi simple que lorsque les fleurs bourgeonnent et la sève déborde des arbres dès qu’on les touche. Après deux années d’essais infructueux (pas merci Mère Nature), on nous dirige vers Mère la Science, et on me demande notamment d’aller faire un spermogramme.

Kezakoidon un spermogramme ?
1- La vente de semence au poids (« Y a un peu plus, je vous le laisse ma p’tite dame ? »)
2- Une analyse des spermatozoïdes pour voir la quantité, la qualité, la vivacité et la fertilité de l’émission ?

Je file donc sur la grande toile afin de trouver des témoignages sur le déroulement de cette cérémonie mais je ne trouve pas de quoi m’éclairer. Premier résultat : un récit érotique. Deuxième résultat : une histoire succincte, brève et plutôt technique. Troisième résultat : un touchant témoignage.

Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend. J’ai vécu jusqu’ici sans me poser la question de ma fertilité, comme un bien acquis à la naissance. Est-ce que la vie va me permettre de devenir père ou vais-je devoir y renoncer ? Bien sûr, il existe d’autres moyens plus ou moins lourds mais celui-là était tellement simple. J’aimerais tellement que tout soit simple, naturel…

Faut-il que j’y aille seul ou accompagné par ma moitié ? Est-ce que cela ne rajoute pas encore plus au saugrenu de la situation ? « Bonjour, je viens pour le dépôt et ma femme est là pour le coup de main. » Glauque, glauque, glauque. Le problème de ma douce est réglé, elle travaille et ne pourra pas venir avec moi mais ses pensées m’accompagnent. Pourvu que moi je pense à elle pour m’aider.
La veille, on en plaisante, on dédramatise la situation. « J’espère que le pot à une grande contenance » ; « Pourvu que je ne me fasse pas un pénis tennis elbow… »

J’ai bien suivi les recommandations préparatoires avant le jour J : pas de rapport pendant les trois derniers jours minimum afin d’assurer un échantillonnage de qualité, frais et en quantité suffisante. Aucune mention n’est faite sur le fait de manger des asperges ou de boire un litre de lait. Rien non plus sur les caleçons serrés ou les strings trop lâches. Dans le doute je n’y suis pas allé en vélo et je n’ai pas traîné sous la douche chaude du matin, des fois que ça détende trop mes nageurs et qu’ils ne veuillent plus rien foutre après.

Dans le métro, je me plais à imaginer la tête du personnel à l’accueil dissimulant un petit rire sous cape en lisant mon ordonnance, la déco de la salle de prélèvement avec des posters de routiers aux murs (pas des posters avec des routiers évidemment, mais de ceux que l’on trouve dans les cabines de leurs camions), l’odeur qui peut s’échapper de la pièce, la pile de magazines avec les pages collées… Glauque.

Me voici devant le laboratoire. J’ai un peu de mal à entrer, l’impression d’aller dans un peep-show. Je prends mon courage d’une main, la poignée de l’autre et je pousse la porte. Une entrée moderne avec des fauteuils en cuir confortables. Je prends un ticket et patiente.
Mon tour vient. Je tends mon ordonnance à une jolie jeune femme, elle saisit toutes les informations de manière professionnelle. Au guichet de droite, un homme seul vient pour le même prélèvement que moi. Regard furtif entre nous. J’ai vaguement envie de lui serrer la main taper sur l’épaule comme un frère d’armes. Nous savons ce que nous allons faire ici, tout le monde sait ce que nous allons faire ici. Les boules (ahemmm).
Une fois mon dossier rempli, la jeune femme de l’accueil me dit d’attendre, quelqu’un va venir me chercher. Pour l’instant, je suis finalement plutôt détendu et ne pense pas trop à ce qui m’attend. Une nouvelle jeune femme apparaît, brune, très jolie, la trentaine. Mon dossier en main, elle lance mon nom dans la salle. Je l’attrape et me manifeste. Sans un regard, elle me salue et me demande de la suivre. Et là, catastrophe. Elle parle avec un accent slave digne des pires films porno des années 90. « Vénez avec moa, jé vais vous améné dans la pièce » (c’est très dur de faire passer l’accent russe par écrit). J’ai envie de lui répondre « spaciba » mais je me retiens.

Je la suis à travers un couloir. Nous passons devant une femme qui patiente elle aussi avec un ordinateur sur les genoux. On ne croise pas le regard, on baisse la tête. Ma guideuse ouvre une porte. Je rentre dans la backroom. Ouf, rien à voir avec l’idée que je m’en suis faite. Une petite pièce avec un urinoir et un lavabo, assez moderne, un fauteuil en cuir et… c’est tout.
Je pose mes affaires sur le fauteuil et fais le tour du propriétaire. Une seconde après, Svetlana, sans se retourner, prend mes affaires et me les tend pour que je les accroche au porte manteau. Je m’exécute rapidement, l’accent russe lui donne un côté autoritaire qui me glace le sang. Elle tend un papier sur le fauteuil afin de protéger le cuir (ou d’éviter des bruits disgracieux genre « prout de peau ») et s’agenouille, comme si elle voulait faire une prière au dieu de la fertilité. En me tournant toujours le dos, elle m’explique la procédure à suivre. Je m’adosse au mur, fixant mes chaussures, honteux.

Je dois donc me laver les mains, puis le sexe, puis procéder et déposer l’ensemble de ma production dans le contenant stérile. Son dos me tend une carte pour pouvoir retrouver les résultats sur le net. A ce moment précis, j’ai plutôt l’impression de subir un contrôle d’identité par la Tchéka…
Elle se relève et pose la main sur la poignée de la porte, prête à partir. Et là, je suis pris d’un affreux doute : mais où se trouvent les stimulants ? J’ai beau regarder autour de moi, rien de très bandant sauf pour les fétichistes de Jacob Delafon. Svetlana ouvre alors un tiroir secret près de la porte dans lequel se cachent les revues spécialisées, pas tout à fait les mêmes que chez le coiffeur. Elle me demande si je souhaite aussi la télé. J’accepte, ça tombe à pic ça doit être l’heure de Motus. Elle me laisse enfin en me disant de fermer la porte à clé derrière elle et de bien laisser mon échantillon en partant (au cas où je souhaiterais garder un souvenir ?) Juste avant que la porte se referme, j’aperçois à nouveau la femme à l’ordinateur, qui attend toujours. Juste devant ma porte. Mon cerbère. Je m’enferme à double tour.

La télé s’allume. Ce n’est pas Motus mais les boules s’y font aussi mélanger. Une scène de film hétéro explose devant moi. Pas de générique, pas de préliminaires, pas de son, de l’action, du brut. Une question me vient à l’esprit : comment font les gays ? Mais peut-être qu’ils ne font pas de spermogramme. Mais si. Mais non. Mais… Aaaah, concentre-toi bordel !
Je me retourne et voit le pot stérile qui me fixe, comme assis dans le fauteuil, attendant son obole. Retour à la réalité. Tout d’abord, respecter la procédure de la camarade polkovnik Svetlana. Un petit rappel est affiché au-dessus du lavabo. Premièrement, uriner. Ça, je gère. Deuxièmement, lavage et séchage scrupuleux des mains. Je me les lave trois fois d’affilée, pour faire bonne mesure, et les sèche méticuleusement au séchoir. Le vrombissement est assourdissant. Troisièmement, « sé nettoyer lé pénis » dixit Svetlana. Une petite lingette fournie me permet de procéder au nettoyage de l’engin. Quatrièmement, éjaculer dans le pot. On y est.

Bien. Je me tourne vers le fauteuil et je vois toutes les personnes qui m’ont précédé sur le cuir. Des jeunes, des vieux, des gros, des beaux, bref des mecs qui se touchent. Un genre de gang bang mais sans aucune femme. Rien de moins motivant pour un hétéro. Je prends place en chassant leurs images et me concentre sur le film. Je ne peux m’empêcher de juger la lumière utilisée pendant la scène, trop faible, ou les mouvements de caméra, trop rapides.
Bon, je ne suis pas là pour faire une critique pour les cahiers du cinéma. Je rentre dans un jeu mécanique en fixant l’écran et en essayant de ne pas penser à la situation. L’affaire avance, je ne pense plus à ce que je fais ici, ça va être plié en quelques secondes quand… le sèche-mains de la cabine voisine se déclenche. Retour à la réalité. Non, tu n’es pas seul, d’autres personnes font la même chose que toi derrière ces cloisons. Ce n’est rien, juste un peu de stress.
Et pourquoi pas les magazines ? Je prends le seul et unique exemplaire du tiroir. Un peu froissé mais non collé, ouf. Je feuillette l’ouvrage sans grande conviction, les dernières sorties DVD, une interview d’une jeune actrice tentant de se faire percer dans le milieu, des photos en gros plan, voire en endoscopie, et pas un seul article de fond sur les conditions de travail des harders ou sur la prévention des IST. Décevant.

Allez, retour au film. Deuxième round, on prend les mêmes et on recommence. La jeune femme du film est une vraie crêpe tant elle se fait retourner. Les acteurs s’échauffent de plus en plus, on sent que le climax est pour de bon, emboitons-leur le pas. Les choses se précisent quand… la scène se termine et l’écran noir apparaît. Quoi ? Rien à mettre sur la crêpe ? Flûte de turlute, la télé doit avoir une veille programmée. Je me lève et me dirige tant bien que mal vers le téléviseur. Le DVD finit par se relancer au début du film. Chouette, je vais enfin comprendre l’histoire !
Heureusement qu’il n’y a aucun miroir dans cette pièce, je pense être vraiment à mon avantage, pantalon aux chevilles, gobelet à la main et doigt sur la télé.

J’ai peur de ne jamais y arriver. Je prends mon téléphone et envoie un SMS de secours à ma femme, criant mon désespoir en majuscules. Sa réponse est intrigante : « Regarde au fond de ton sac. Bon courage. » Je fouille et trouve… le Saint Graal. La culotte préférée que porte ma femme (enfin pas aujourd’hui apparemment… vous suivez ?)
Magie des souvenirs et des sensations. En quelques instants, l’affaire est accomplie. Dernière étape, réussir à bien viser dans le pot et le visser pour que personne ne s’échappe en route. Voilà, c’est fait !

Je me réajuste et tente de dissimuler mon attitude coupable. Je sors de la cabine en laissant mes nageurs dans leur bocal sur le fauteuil non sans leur avoir dit au revoir. A l’extérieur, la femme est toujours sur le fauteuil, son ordinateur sur les genoux. Elle était à deux mètres de moi pendant toute l’opération. Elle me regarde en souriant. Je rougis et baisse la tête, pressant le pas pour sortir au plus vite du peep-show laboratoire.

Un peu plus tard dans le métro, je me sens quand même vaguement fier de ce que je viens d’accomplir, un léger sourire sur les lèvres mais une angoisse au ventre. Il faudra attendre une semaine avant de connaître les résultats. Une éternité pour -peut-être- une nouvelle génération.
J’arrive à ma station. Les portes s’ouvrent et je ne peux m’empêcher d’imaginer des flagelles aux voyageurs se pressant pour sortir de la rame. C’est con, mais ça me fait rire.

4 réflexions sur “Merci pour ce moment

  1. Pingback: Tuto Spermo – Monsieur Papapa

  2. P**** mais comment vous faites pour trouver ces idées de gif tous plus hilarants les uns que les autres? Ça doit vous demander des plombes pour pondre un article… Par contre, c’est vrai que ça perturbe un peu la lecture de devoir cliquer sur chaque lien… Y aurait pas une solution pour la rendre plus fluide? Bon, je crache dans la soupe, là… Je me prosterne devant tout ce qui me donne une crise de fou rire toutes les 30 secondes. En plus, c’est bon pour les abdos. Merci à vous ;)!

    • Ah ben pour le coup c’est Alexandre qui a proposé la grande majorité des gifs en même temps qu’il nous a soumis le billet.

      Les liens hypertexte (plutôt que d’insérer directement les gifs) c’est pour pas gêner la lecture de ceux qui ne s’intéressent pas aux gifs (et qui, dans la forme actuelle, ne cliquent pas) mais il n’y a pas de solution parfaite :/

  3. Bonjour,

    J’ai moi même eu droit à ma séance de « visée » du petit bocal la semaine dernière. Je me retrouve pleinement dans votre description pleine d’humour de cet examen qui, je doit bien l’avouer, me mettais très très mal à l’aise.

    Finalement en faisant abstraction des bruits environnants (le plus difficile selon moi), de la salle plutôt austère (pour ne pas dire plus), mais surtout dans mon cas d’une salle d’attente incroyablement bondée ou ceux qui vont passer au grill (et donc en pleins doutes) croisent ceux qui viennent de terminer et attendent de rencontrer le médécin (avec une proportion assez importantes de personnes qui n’y sont pas arrivées…), j’ai atteint le graal sous la forme d’un petit récipient qu’on abandonne lâchement sur un coin de lavabo avec la satisfaction du devoir accompli.

    Les résultats sont tombés, du Chinois à mes yeux mais apparemment ça n’est pas trop mal. Notre (trop) long combat pour bébé avec la pma pour allié de poids peut continuer pour ma femme et moi. En espérant de pas avoir à revenir faire un coucou au labo dans les prochains mois.

    J’espère que pour vous tout se passe bien et que la famille ne va pas tarder à s’agrandir.

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