Everybody lies

Lors de la publication d’un précédent billet, certains lecteurs avaient « reproché » à Tiben de mentir à ses patients (en fait il se « contentait » d’utiliser un raisonnement non logique, mais sans rien avancer de réellement faux).
En revanche, mentir aux patients, ça peut nous arriver, et après en avoir discuté longuement avec d’autres soignants récemment il nous a semblé que ce mensonge pouvait même faire partie du soin sans être contraire à l’éthique. Voilà à quoi ça peut ressembler.

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Vendredi, 16h, au cabinet du Dr Tiben :

M. Cuterie est allongé sur la table d’examen. Je viens de lui recontrôler la pression artérielle aux deux bras : 130/70. On ne peut pas faire mieux. D’ailleurs, son examen clinique est strictement normal. M. Cuterie a 67 ans, il est diabétique, hypertendu, a arrêté de fumer l’an dernier. Il ne se plaint jamais de rien, se tient habituellement loin des médecins (vu qu’il n’est « jamais malade »), mais il écoute et respecte parfaitement les prescriptions. Bon, il a une conception toute personnelle des règles hygiéno-diététiques mais bon an mal an ses facteurs de risque sont à peu près contrôlés.

Oui mais voilà, fait inhabituel, ce matin M. Cuterie a appelé pour être reçu rapidement (ce qu’il ne fait JAMAIS) et j’ai réussi à le caser dans le planning surchargé des consultations « urgentes d’avant le week-end. »
Il a eu mal dans la poitrine ce matin. Oh « pas bien mal » mais quand même : comme un poids en fait, mais pas longtemps. Juste là, au milieu, derrière les côtes, juste quelques minutes pendant qu’il ramassait les carottes, il en a eu le souffle coupé. Non, ça ne lui fait pas mal dans la mâchoire, ni dans le dos, « juste un peu dans le bras gauche, mais j’ai fait du bois hier. » D’ailleurs, là il n’a plus mal. Mais ça lui a refait juste avant d’arriver, pendant qu’il se garait, et aussi un peu dans la salle d’attente. Il ne s’inquiète pas d’habitude mais là cette douleur elle était angoissante. Mais maintenant qu’elle a disparu… Non, en fait il ne pense plus que ça vient du cœur mais que c’est plutôt musculaire, « parce que, Docteur, j’en ai quand même fait dix stères ! »
Pour le médecin généraliste, la prise en charge est somme toute assez facile en théorie : décrocher le téléphone et appeler le SAMU (rappel : c’est le 15) parce que, bien sûr, le premier diagnostic à évoquer, c’est le syndrome coronarien aigu, les prémices d’un infarctus du myocarde (le bois, on s’en fout, mais complètement !), allonger le patient, faire un test à la trinitrine s’il a toujours mal et un ECG si l’on en possède un.

Sauf que M. Cuterie veut déjà se lever et rentrer à la maison car il a les pommes de terre à butter avant ce soir.

A ce stade, j’aurais pu dire :
« Bon, écoutez, là vous faites probablement un début d’infarctus, restez tranquille, l’ambulance du SAMU va venir vous chercher ! »

Mais en fait j’ai dit :
« Monsieur Cuterie, votre examen est rassurant, c’est une bonne chose.
– Aaaaah, je savais que je venais pour rien, c’est musculaire, hein, docteur ?
– Hmm, c’est une possibilité, vous avez raison. Malgré tout, pour être tout à fait rassuré, il serait raisonnable de faire un petit contrôle à l’hôpital. (NDLR : quand j’essaie de rassurer, j’emploie l’adjectif « petit » involontairement et à outrance)
– Oooh, ben si vous voulez. C’est le Dr Marco Roscane, le cardiologue, qui m’avait vu pour la tension, et le Dr Nicole Estérol pour le diabète. Je prends rendez-vous pour le mois prochain ?
– Hmm, non. Ce qui serait bien, ce serait de le faire maintenant. Vous savez, c’est la fin de la semaine, et si ça vous reprend ce week-end, ce sera un peu plus difficile d’organiser tout ça.
– Ooooh oui alors, le week-end on n’a plus de docteurs ! Avant ils se déplaçaient le jour, la nuit, et je me souviens quand…
– Vous me laissez appeler pour qu’on vienne vous chercher ?
– Comment ça ? Je pars maintenant ? Mais et mes patates ? Vous pensez pas que ça vient du cœur, Docteur ? Parce que mon père en est mort, hein ! Ça nous a fait un choc !
– Comme je vous l’ai dit, votre examen est rassurant, mais vous savez, nous les docteurs, on aime bien aller au bout des choses. Ça peut être le muscle, mais ça peut venir des poumons aussi, peut-être que vous commencez une petite bronchite ? Et puis, sans que ce soit alarmant, ça peut être une petite fatigue du cœur. Encore une fois, si ça vous reprend ce week-end et que vous restez cloué au lit, qui va s’occuper de vos pommes de terre ? Il vaut peut-être mieux aller faire un petit contrôle aux urgences avec une prise de sang, une radio des poumons et un électrocardiogramme -vous savez, le Dr Roscane vous l’avait déjà fait pour le bilan de la tension- et si tout est normal vous rentrez ce soir à la maison !
– Non, non, pas question ! Qu’est-ce que je vais faire à l’hôpital maintenant puisque je n’ai rien ? Ça va déjà mieux ! Je vais pas aller déranger les docteurs de l’hôpital pour une douleur musculaire, j’ai du Dafalgan à la maison, je connais les doses et ça ira !
– Vous savez, les douleurs musculaires, elles ne partent pas comme ça sans rien faire, c’est pour ça que j’aimerais bien faire contrôler votre cœur, et puis, comme vous l’avez dit, votre père a eu lui-même un problème cardiaque… Ça ne prendra pas longtemps si tout va bien !
– Non mais si c’était le cœur, je serais déjà mort, vous croyez pas ? Vous me donnez le pschitt pschitt de glycérine sous la langue, là, si ça me reprend et ça ira, oui !
– Richard, je vous connais et je sais que si vous êtes venu me voir ce soir, c’est que ce qui vous arrive vous inquiète. Le seul moyen d’être rassuré, c’est de faire ces petits examens aux urgences.
– Grmbl. Bon, bon, comme vous voulez. Allez, je prends la voiture, je connais le chemin !
– Hmmm, non. Il vaut mieux que vous restiez allongé. Ne vous occupez de rien, j’appelle les ambulances !
– Les ambulances ?? Vous n’allez pas déranger les ambulances pour ça ! Et puis je suis encore valide, non mais !
– A l’heure qu’il est, vous risquez d’avoir des bouchons sur la route, avec une ambulance prioritaire, plus vite vous serez arrivé, plus vite vous serez reparti !
– On peut vraiment pas discuter, alors, avec vous… »

L’objet du mensonge : la gravité de la pathologie.

Les raisons du mensonge : ne pas générer une inquiétude trop importante chez ce patient (pour lequel en plus, à ce moment précis, un stress ou une accélération du rythme cardiaque pourrait s’avérer dommageable). Surtout, la connaissance par le médecin de la personnalité singulière du malade chez qui un diagnostic trop brutalement asséné risque d’entraîner un déni du problème, voire une réaction de fuite.

Ce mensonge est-il éthique ?
Parce que oui, enfin, le patient a bien le droit de connaître sa maladie, non ?
Oui et il la connaîtra, mais plus tard. Il n’y a pas ici une volonté délibérée de dissimuler la vérité au patient, qui finira par être mis au courant du diagnostic. La vérité, plus que masquée, n’est pas dite dans sa totalité (mensonge par omission), dans le but de protéger le patient. Temporairement.
Ce type de mensonge est fréquemment utilisé en médecine lors de suspicion de diagnostics graves. La vérité est fragmentée à chaque étape des examens diagnostiques laissant ainsi au malade le temps nécessaire pour s’approprier sa pathologie d’une manière moins brutale. Ici l’échelle temps est juste plus courte, mais entre le cabinet de son médecin et la table de coronarographie, en passant par l’ambulance et le sas des urgences, de soignants en soignants, de fragments en fragments, la vérité va se construire comme un puzzle dont le psychisme du patient est l’artisan, pas seulement le spectateur terrifié.

Et tous les patients vous leur mentez comme ça dès que vous pensez que c’est grave ? Vous ne croyez pas que certains sont capables d’entendre la vérité ?
Absolument, c’est différent selon le patient que l’on a devant soi.
Ici le mensonge par omission sert à se prémunir d’une anxiété immédiate néfaste et à déjouer d’éventuels mécanismes de défense qui pourraient nuire à la prise en charge, en particulier en la retardant.
C’est un mensonge qui se fonde à la fois sur l’expertise médicale de la pathologie concernée et sur la connaissance particulière que ce médecin a de ce malade. Il s’inscrit dans le colloque singulier du médecin avec son malade, colloque au cours duquel, en conscience, le médecin va décider que l’acte de mentir est à cet instant une action profitable au malade qui permet de maintenir l’alliance thérapeutique.

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Mardi, 15h, dans le box de consultation de Totomathon :

Je fais rentrer Mme Néhic dans le box de consultation. Gladys a 54 ans, mais certaines années ont compté double, notamment celles où elle a fumé deux paquets de cigarettes par jour (le tout arrosé assez généreusement quand elle était avec les copains au bistrot). Elle a fini par se dire que ça commençait à faire beaucoup, elle a finalement tout arrêté. Probablement un peu trop tard reconnaît-elle, mais c’était déjà ça de pris. Et puis c’est pas comme si c’était simple non plus, entre les vieilles habitudes, le divorce, les deux ados qui faisaient des conneries d’ados, les boulots merdiques et les périodes de chômage. Mais elle a réussi, c’était avant que je la rencontre et que je la suive pour sa BPCO, et elle a ainsi gagné de nombreuses années d’espérance de vie.

« Ça va ? »
A première vue ça va pas si mal, pas de nouvelle exacerbation depuis la dernière fois, pas d’autre souci extra-thoracique. Mais ce foutu essoufflement qui s’intensifie, petit à petit. Parfois elle met un quart d’heure à monter les quatre étages avec les courses. Finalement après quelques questions sur l’importance du handicap respiratoire, en fait ça ne va pas si bien. Et le moral semble être au diapason de l’état respiratoire,  c’est-à-dire assez catastrophique.
« Je ne peux plus rien faire docteur. Rien ! Ça me mine ! Faites quelque chose. »

Avec conviction mais un espoir prudent, je tente à nouveau de l’amener vers un programme de réhabilitation respiratoire (en ambulatoire, pour qu’elle ne soit pas bloquée 24/24 à l’hôpital, rapport aux ados et au nouveau job). Comme à chaque fois, elle me gratifie de son rire de bronchitique, celui qu’en blind-test j’aurais du mal à différencier du démarrage capricieux d’une voiture par un froid matin d’hiver. Bon, visiblement elle n’est toujours pas résolue à se mettre au vélo d’appartement.
« La prochaine fois docteur, là j’ai trop de soucis, j’ai pas vraiment le temps de m’occuper de ça ! Non je veux juste un truc pour m’aider à respirer. Parce que là j’en peux plus, je veux pas des belles paroles sur le sport ou mon poids… Quelquefois j’en ai tellement marre que je crois que je pourrais tout laisser tomber. »

Là j’aurais pu dire :
« Avec votre VEMS aux alentours de 30%, et votre PaO2 qui vient de passer en dessous des 65 mmHg au repos, c’est la seule mesure efficace à prendre. Vous avez une insuffisance respiratoire chronique, les choses sont ce qu’elles sont, je comprends bien que vous soyez déprimée mais je ne peux pas faire de miracle ! »

Au lieu de ça, j’ai dit :
« Alors, on peut peut-être essayer de vous améliorer un peu avec un médicament à respirer. »

En mon for intérieur, je n’attends pas grand-chose d’un bronchodilatateur par voie inhalée. En même temps, c’est pile poil leur indication dans la BPCO : améliorer la qualité de vie, pour des effets indésirables potentiels peu fréquents et peu graves. Je lui survends un peu l’efficacité, je lui dis de tenter quelques semaines : si elle en ressent un bénéfice, super ! Sinon elle arrête. Et la prochaine fois on reparlera de la réhabilitation, peut-être arriverai-je à lui faire enfin comprendre à quel point elle en bénéficierait (et qu’elle en est capable). En attendant des conversations plus difficiles, plus tard, peut-être, à propos d’oxygène au domicile ou de transplantation pulmonaire…

L’objet du mensonge : les bénéfices prouvés d’un traitement.

Les raisons du mensonge : soulager une inquiétude, ne pas induire de désespérance, répondre à une demande mais aussi peut-être ne pas générer de nomadisme médical, ne pas rompre une prise en charge qui nous semble par ailleurs bénéfique.

Ce mensonge est-il éthique ?
Oui parce qu’en gros la patiente vous lui prescrivez un semi-placebo, un truc dont vous n’espérez pas grand-chose en tout cas.
Oui ici les bénéfices attendus de cette prescription sont plus psychiques que physiques.
Si le rôle du médecin est de préserver une « bonne santé physique et psychique » alors ce mensonge s’inscrit logiquement dans cette prise en charge : en l’état actuel, on ne peut rien faire de plus pour la santé physique si ce n’est poursuivre ce qui a été entrepris, en revanche le mensonge du médecin va permettre d’améliorer la santé psychique.
C’est un mensonge qui ne décharge en rien le médecin du poids de ses responsabilités mais qui allège la malade alors même qu’il n’y a pas de meilleure solution envisageable.

Mais ce ne serait pas mieux de lui dire qu’on ne peut rien faire au lieu de lui donner de faux espoirs ?
C’est vrai et on pourrait opposer le fait qu’aider la patiente à faire l’économie de l’acceptation d’une situation difficile est une attitude infantilisante. Mais on peut aussi noter qu’elle accepte volontiers ce mensonge alors même qu’elle constatait une dégradation. A cet « instant t » de son histoire ce mensonge est peut-être nécessaire, permettant de surmonter sans trop de dommages psychologiques une période de crise. S’agissant d’une maladie chronique, dès lors que la prise en charge paraît optimale, l’entière et difficile vérité peut sans doute attendre que la malade soit prête. Comme si la vérité pouvait être parfois une question de tempo, trouver le bon nécessitant d’évaluer à chaque rencontre avec le malade où il se trouve sur le chemin de la vérité en adaptant le discours permettant de faire la route avec lui.

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Jeudi, 11h, Boutonnologue donne les avis dans l’hôpital :

On m’a demandé de passer en néonat. J’y vais accompagnée de l’externe préposé aux avis. Le petit Johnny, né il y a quelques jours, présente une éruption bizarre. Effectivement quand je l’examine je constate sur son omoplate gauche un petit tatouage ridicule « May the swag be with you.[1] » Je regarde, je connais ce truc. C’est le genre de diagnostic qui te fait passer pour une star aux yeux de l’externe : personne ne savait ce que c’était et toi tu fais le diagnostic en 2 min 30 sans scanner, ni IRM. Et comme ça n’a pas pris longtemps et que je ne loupe jamais une occasion de faire ma crâneuse auprès des externes, je me lance dans quelques explications :
« C’est le syndrome de Miley Cyrus. Il s’agit d’une maladie génétique rare mais bénigne. Elle se manifeste le plus souvent dès la naissance par la présence d’un petit tatouage ridicule. Elle a tendance à s’aggraver, avec, en grandissant, l’apparition de plus en plus de petits tatouages ridicules. Son évolution est le plus souvent sans gravité avec un préjudice seulement esthétique et variable. Elle nécessite néanmoins une surveillance régulière (des fois qu’apparaissent des petits tatouages mal placés). Elle se transmet sur le mode autosomique dominant avec une pénétrance de l’ordre de 100% mais une expressivité variable. »
Comme je sens au regard de l’externe qu’il a eu son module de génétique aux rattrapages de septembre, j’ajoute :
« Ça veut dire que FORCÉMENT un des deux parents de ce bébé a aussi le syndrome de Miley Cyrus, mais éventuellement dans une forme qui peut être plus ou moins ridicule. D’ailleurs tiens voilà les parents on va leur expliquer »

 Je vous fais grâce de mon 2ème laïus à destination des parents sur le syndrome de Miley Cyrus pour en venir au cœur du problème :
« Donc pour résumer M. et Mme Kiminaj, c’est une maladie génétique et la plupart du temps quand un enfant est atteint, un des parents est atteint aussi » (notez comme forte de mon expérience je me suis ménagée une porte de sortie honorable, si jamais il s’avérait que Johnny était le fils du facteur qu’aucun des deux parents n’était atteint, j’ai pris soin de ne pas dire « TOUJOURS » mais « le plus souvent » comme ça en cas de besoin je peux dire que donc, voilà c’est sûrement une néo-mutation, emballé c’est pesé. Je mens déjà. Enfin non ça existe les néo-mutations). Est-ce que l’un de vous a des tatouages ridicules ? »
Tous les deux se regardent, réfléchissent et avec assurance me répondent que non. Ni l’un ni l’autre.
Et alors que je m’apprête à leur faire le coup de la néo-mutation sous les yeux admiratifs de l’externe, le père m’arrête et prend son épouse à partie :
« Mais, mais attends, c’est pas ça la maladie qu’il a mon frère ? Mais si tu sais bien qu’il a un petit poney tatoué au creux des reins et aussi « tektonik forever » sur la fesse. Il nous a même dit qu’il était suivi pour ça. C’est possible que ça se transmette comme ça dans la famille, par l’oncle ? »

Là ça va très vite, l’épouse me fixe, les yeux paniqués, l’externe qui semble brutalement devenu meilleur en génétique fait des changements de couleur à oscillations rapides : blanc, violet, rouge, re-blanc…

J’aurais pu dire :
« Ahhh ben non monsieur, le syndrome de Miley Cyrus ça se transmet pas comme ça. Les chromosomes ça passe pas d’une famille à l’autre comme par magie. C’est sûrement que votre frère est le père de Johnny et je vous propose d’aller confirmer cela par des tests génétiques. »

Mais à la place j’ai dit (avec une poker face de classe internationale) :
« Oui, c’est possible, le gène est dans la famille, c’est pour ça. Pour en revenir à Johnny, je vous propose de le revoir quand il aura un an pour un examen de surveillance. Comme je vous l’ai dit c’est bénin mais… blablabla… »

L’objet du mensonge : les modalités de transmission d’une maladie.

Les raisons du mensonge : dissimuler un adultère, une fausse paternité, préserver l’équilibre d’une famille.

Ce mensonge est-il éthique ?
Oui, vous ne pensez pas que Johnny a droit à la vérité ?
Sur le plan médical : la vérité aurait-elle un quelconque intérêt pour le patient (ici un bébé de quelques jours) ? Vraisemblablement non, les parents sont attentifs, la maladie est bénigne, le suivi recommandé sera fait.

Et les pères alors ? Le père officiel ne risque-t-il pas de croire qu’il est porteur d’une maladie qu’il n’a pas, c’est grave ça ?
La vérité aurait-elle un intérêt pour le père officiel ? Il ne lui est pas faussement annoncé qu’il est porteur d’une maladie qu’il n’a pas, cela n’entraîne ni suivi, ni dépistage ou examen inutile, ni effet psychologique délétère.

Et le père biologique il a le droit de savoir qu’il est malade ?
La vérité aurait-elle un intérêt pour le père biologique ? Effectivement c’est plus complexe, visiblement il se sait porteur, on peut donc penser qu’il est correctement suivi (sans en être sûr), ses enfants officiels devraient sûrement être dépistés et suivis (à moins qu’ils ne le soient déjà), cette maladie ne justifie pas de conseil génétique (et tant mieux). J’ai donc justifié (dans ma tête) mon mensonge vis-à-vis du père biologique de l’enfant de deux manières :
1- Il connaît son diagnostic, charge au médecin qui a posé le diagnostic chez lui de mettre en place la surveillance, le dépistage, le suivi familial.
2- Il n’est pas mon patient, mon patient c’est le bébé. Et ce bébé a droit au secret médical, même âgé de quelques jours.

Vous avez surtout eu la trouille de mettre un joyeux bazar là, non ?
J’avoue avoir aussi posé le problème en des termes inverses, à savoir quel était mon droit de médecin à révéler un « secret de famille » ; à m’immiscer dans la vie privée des patients, à révéler des faits qui bouleverseraient un équilibre, à mettre une femme, un mari, un amant, une autre femme, un enfant en danger psychique et pourquoi pas physique (les crimes passionnels ça existe).
Au nom du droit à la vérité ? J’ai dans l’urgence mais en conscience choisi le mensonge, j’ai pesé le rapport bénéfice/risque et ce mensonge pour cette famille m’a semblé éthique.

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Oui, les médecins mentent et les raisons sont nombreuses. Certaines sont très discutables : masquer son ignorance, améliorer l’observance en minimisant les effets secondaires, aboutir plus rapidement à ses fins parce qu’on est pressé… Mais d’autres sont probablement éthiques.
Pour qu’elles le restent encore faut-il les identifier. C’est-à-dire mentir en conscience, se regarder mentir et s’interroger  sur ce mensonge : vérifier que le bénéficiaire en est bien le malade et pas le médecin, que c’est bien pour le patient que la vérité brute et non fragmentée serait inacceptable, que ce mensonge est bien l’instrument d’un dialogue qui reste ouvert, qu’il est bien une étape sur le chemin et pas le point d’arrivée…

Le mensonge pour qu’il soit acceptable ne doit pas être utilisé comme un instrument de pouvoir. Mentir pour préserver, mentir pour protéger, mentir parce qu’on sait mieux ce qui est bien, c’est une forme de paternalisme, une médecine actuellement en déclin. Alors, essayons de garder le mensonge comme un outil parfois nécessaire de l’alliance thérapeutique, faute de mieux, pas comme un outil de manipulation du malade.

Ainsi un mensonge éthique serait un mensonge qui ne s’affranchirait pas du devoir d’information claire et loyale, d’une réflexion du médecin sur le bien-fondé du mensonge sans faire l’économie de la désagréable réflexion sur l’enjeu de pouvoir, un mensonge qui n’enfermerait ni le malade ni le médecin et permettrait au contraire à la pensée autour de la maladie de s’élaborer, à la parole de surgir.

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1. Pour des raisons d’anonymat que vous comprendrez aisément, cette maladie n’a pas seulement été changée mais un tout petit peu inventée. En revanche la situation a réellement été vécue. []

13 réflexions sur “Everybody lies

    • Oh oui c’est « touchy ».
      N’hésitez pas à développer si vous le voulez, on pense que ce billet appelle à discussion (mais on comprendrait aussi que vous préfériez ne pas trop vous étendre sur le sujet, et surtout on espère que tout va bien maintenant).

      • Aujourd’hui mon enfant a 5 ans. Son ALD se termine (yes !) aujourd’hui même, un joli symbole.

        Alors ça va être difficile de faire court.

        Il est né avec une malformation des voies urinaires, suspectée à la 3ème échographie. Les annonces ont été très choquantes pour nous : à J3 l’échographe nous a dit qu’il avait beaucoup de chance d’être diagnostiqué si vite (connard), j’ai donc pleuré, l’élève infirmière qui m’accompagnait m’a dit que ça aurait pu être pire (la pauvre, elle semblait bien mal en peine. Je maudis la maternité de l’avoir envoyée pour m’accompagner, elle n’était pas préparée à ça.)

        Bref, la pédiatre est passée ensuite. Je lui ai demandé la suite, RV à l’hôpital à J7. « mais que va t’il se passer ensuite ? Je vais voir un néphrologue ? ». Comme l’échographe, elle connaît très bien la suite. Comme lui, elle botte en touche. C’est donc seule à la maison avec mon nouveau-né de quelques jours que je découvre que j’ai RV avec un chirurgien infantile. Chirurgien…
        Mon garçon va donc être opéré. Un choc de plus. Et quelle bande de lâches, cet échographe et ce pédiatre !

        Bref, le premier mois se passe, avec beaucoup de fatigue… Et puis je dois faire un ECBU, avant la cystographie. Le résultat montre une infection urinaire, il est hospitalisé, sous antibiotiques iv. La cystographie est quand même réalisée 2 jours plus tard, le lendemain de mon anniv, la veille de celui de mon conjoint. Dans les heures qui suivent, son état se dégrade. Ses perfusions sautent, la fièvre monte. Le lendemain de la cystographie, tout se complique. Impossible de le reperfuser. L’anesthésiste passe dans sa chambre. Nous sommes dans la salle d’attente, nous entendons mon bébé hurler pendant un temps qui me semble infini. Ironie du sort, juste en face de sa chambre, un joli poster sur la prise en charge de la douleur chez les nourrissons. J’ai l’impression qu’on se fout de notre gueule.

        Cette scène est très violente pour nous, mon père présent à ce moment là ne fermera pas les yeux la nuit suivante.
        On récupère notre bébé perfusé dans la jugulaire, l’image est très choquante pour nous, je file pleurer dans les toilettes du service.

        Quand peu après, sa perfusion saute à nouveau, c’est la panique… Mon conjoint s’effondre à son tour.

        L’anesthésiste repasse le perfuser vers 2h du mat, après une grosse intervention. Cette fois enfin, ça se passe vite et bien. Le lendemain, mon garçon passe au bloc pour une pose de voie centrale.
        Son médecin nous parle enfin, de l’éventualité d’une pyélonéphrite…
        A partir de ce moment là, il va très vite mieux et nous sortons 5 jours plus tard en HAD, avec toujours son antibiotique par voie centrale.

        Mais son cathéter (un Jonathan) ne tient pas jusqu’au bout du traitement. Je me retrouve aux urgences. Là, l’externe me demande : » mais pourquoi ce traitement là pour une pyélonéphrite ? ». « … »
        L’équipe se renseigne, pour savoir s’il faut vraiment faire les 3 injections restantes d’antibiotiques.

        3 personnes viennent me dire que oui; il faut vraiment le faire. Avec le recul, j’ai nettement l’impression qu’ils sont au courant du diagnostic, et que je ne le suis pas.

        Bref 3 mois plus tard à l’occasion d’un passage au bloc, son médecin se justifie « de ne pas avoir fait d’endoscopie et de ne pas lui avoir collé un choc sceptique, comme la dernière fois. » « Pardon ?… »

        En fait c’était « juste » une scepticémie.

        Mais peu importe. A ce moment là, j’ai *légèrement* pété les plombs. Demandé son dossier médical, voir si d’autres *petits* détails de ce genre avaient été oubliés. Suite à ça son médecin m’a dit que mon garçon pouvait être suivi à Paris ou Lyon. Drôlement pratique, l’autre bout de la France, en congé parental et avec un bébé !
        Là je me suis sentie franchement prise au piège. Je n’avais pas peur pour mon bébé qui visiblement allait bien, mais peur de retourner à l’hôpital. Et plus confiance.

        Finalement un autre chirurgien de notre ville l’a suivi pour notre grand soulagement. Un mec assez incroyable, « dr petit chat », on a halluciné de la prise en charge et du soutien de l’équipe. Ca changeait tellement de ce qu’on avait connu.

        Donc j’ai vraiment pas fait court !… Mais je suis persuadée que autant l’échographe, le pédiatre, le chirurgien, nous ont menti pour nous protéger, nous, jeunes parents inquiets. Mais en ce qui nous concerne, c’était vraiment, mais vraiment pas le truc à faire, j’ai viré complètement parano à la suite de ces mensonges.

        • Merci pour ce témoignage.
          Le manque d’information est malheureusement une des plaintes les plus fréquemment exprimées par les patients et/ou leurs familles, et source bien légitime d’angoisses et d’interrogations.
          Notre propos ici n’était cependant pas de mettre en avant ce genre de pratiques, mais bien d’expliquer que, dans certains cas, l’omission (temporaire) pouvait être éthique, qu’elle pouvait être une aide dans la prise en charge du patient, quand une vérité assénée d’un coup serait difficilement supportable. Mais ça doit rester un cheminement, la situation que vous rapportez ici est plutôt une fuite, l’annonce diagnostique n’a pas été fragmentée en plusieurs fois, elle n’a jamais été faite ! On retombe dans une des situations décrites par le Dr Couine dans son billet.
          Il y a d’autres choses également dans votre témoignage : des erreurs de communication, des quiproquos, des maladresses, qui nous rappellent un précédent billet écrit par Solene (https://2garcons1fille.wordpress.com/2014/05/04/ca-pique/). Dans l’absolu, il est probablement mieux d’avoir pu diagnostiquer rapidement cette malformation plutôt qu’après plusieurs pyélonéphrites et d’éventuelles séquelles rénales, mais il est très délicat d’essayer de relativiser ce genre de situations, d’essayer de faire passer malgré tout un message positif. Et on peut imaginer que ces décalages entre soignants et soignés passent d’autant plus mal qu’il y a eu des manquements par ailleurs dans la prise en charge (l’absence d’annonce diagnostique claire ici), et une défiance qui s’est installée.
          En tout cas on est heureux de comprendre que votre enfant semble aller bien, et on lui souhaite de belles choses !

  1. Ahh, chère Boutonnologue ! Vous m’avez rappelé un grand moment de solitude dans une autre vie, lors de mes débuts de prof, on disait de sciences naturelles à l’époque. Inconscient que j’étais, on ne dira jamais assez de mal de la pédagogie, j’avais pensé rendre plus vivant le cours de génétique, en choisissant de faire l’analyse de la parentèle de mademoiselle Tuyau de Poêle, ci-devant élève de terminale, devant 35 de ses condisciples, adolescents ricaneurs zé bourrés de testostérone ou d’estrogènes mal métabolisés. Le mensonge et la néo-mutation nous ont aussi sauvés ; loué soient-ils !

  2. Il serait intéressant d’avoir le retour de ces patients assez longtemps après l’événement, en le leur expliquant, savoir si eux aussi pensent que le mensonge leur à été bénéfique. Avoir un retour du point de vue du patient du « contrat » médecin-malade finalement

  3. En gyneco-obst, il nous arrive parfois aussi de minimiser une situation tout en l’expliquant tout de même à la patiente pour éviter de l’aggraver! Exemple: une patiente en salle de travail et baybay qui bradycarde! Si je me pointe en lui disant que le rythme cardiaque de son bébé chéri tant attendu et désiré est en train de se casser la gueule MAIS qu’il faut qu’elle respire PROFONDEMENT ET CALMEMENT pour l’oxygéner un maximum et qu’il récupère, je ne suis pas sûre que ça fonctionne! Alors qu’en lui expliquant que son baybay a un peu de mal à supporter la contraction qui vient de passer mais qu’en respirant calmement et profondément, on lui donne toutes les chances de récupérer, elle sera plus à même de faire ce qui me paraît être le mieux pour le fœtus! Toute la difficulté réside dans le fait que ce sont des situations d’urgence et qu’il faut bien choisir ses mots!!

  4. Bonjour,

    Tout d’abord, je souhaite d’abord dire que j’admire le métier des médecins.

    Maintenant en tant que patient, j’ai eu 5 opérations (chirurgie orthopédique et chirurgie réparatrice):
    – 3 où l’on n’a pas minimisé (dont la première), et les soignants n’ont pas non plus hésité à dire lorsqu’il ne savaient pas (et on sait bien interpréter le silence des soignant…)
    – 2 (chirurgie orthopédique, par ailleurs « bénignes »), où l’on a minimisé les conséquences d’une opération (pas ailleurs pas DU TOUT urgentes). L’une (retrait de plaques au niveau du fémur, juste au dessus de la rotule), ou le chirurgien m’a affirmé HAUT et FORT que je courrais le lendemain…j’avais 19 ans, je ne connaissais rien à la médecine (« jamais malade »)…je l’ai cru. Je me suis vraiment sentie prise pour une imbécile ensuite, et j’ai haï ce chirurgien (j’étais étudiante, j’avais BESOIN de travailler pour financer mes études, et les promesses de de chirurgien m’avait fait accepter de faire cette opération -à tord- quelques jours avant de démarrer un job physique et ce alors que le chirurgien connaissait cette contrainte)
    L’autre (griffes d’orteil) où l ‘arrêt de travail a été minimisé lors de la visite pré-opératoire, et l’on a omis de me préciser qu’après la reprise du travail le rétablissement serait encore long..J’avais un travail où je pouvais organiser une absence d’un mois, on m’a dit 15 jours (alors que les sites internet semblaient dire un mois minimum, mais j’ai cru mon chirurgien), je me suis organisée pour 15 jours..j’ai reçu un arrêt d’un mois à la sortie de l’opération qui s’était bien passée (j’ai appris ensuite par le secrétariat que c’était TOUJOURS un mois pour ce type d’opération)…et évidemment ça a été TRES COMPLIQUE lorsque j’ai dû annoncer au niveau professionnel que finalement j’étais absence 15 jours de plus (évidemment, on ne m’a rien dit de face, mais ma hiérarchie a cru que je les avais dupés…très moyen !)

    Je ne suis pas une malade qui fuit,les deux opérations je les aurais faites quoiqu’il arrive, mais je voulais pouvoir m’organiser. Alors certes, je suis une personne dynamique, qui aime aussi son travail et n’a pas envie d’une convalescence trop longue. Mais je suis aussi une personne réaliste qui accepte le besoin d’une opération, et d’une convalescence et suis capable d’accepter une opération parce que le bénéfice à long terme est plus important. Ces deux chirurgiens dont je veux croire (au moins pour le 2ème) que son empathie l’a « empêché » de me dire la réalité, m’ont enlevé la confiance que j’avais en général dans les médecins tout autant qu’il m’ont EMPECHE de vivre psychologiquement sereinement les conséquences NORMALES de l’opération.

    Je suppose que l’empathie, la peur de décevoir ou de voir l’inquiétude dans le regard des patients dicte l’agissement de certains médecins. Je suppose qu’il s’agit quelques fois aussi d’égo du chirurgien, ou de « facilité » (moins de temps à passer avec un paient moins anxieux/qui pose moins de questions ?). Mais je pense que quelques fois (ou souvent ?) ils sous-estiment notre capacité d’adaptation, de compréhension…

    Et leurs mensonges – en revanche – génèreront un patient plus anxieux, et moins confiant avec les prochains professionnels de santé qu’il rencontrera…

    Je me souviens de ma grossesse, où lors d’une visite de routine, le gynécologue m’a dit « vous avez des contractions ». Ma réponse : « non ». lui « si, vous avez des contractions ». Moi « Non ». Lui : « Ca ce sont des contractions ». Moi « ah oui, ça j’en ai depuis le 4ème ou 5 ème mois ». Lui « bon, je vous prescrit un arrêt de travail ». Moi « ah bon ? je peux au moins finir la semaine ? « . Lui : « non ». moi : juste demain alors ? « . Lui : « non, la vous sortez du cabinet, vous rentrez chez vous et vous ne retournez pas au travail »…Bon, bien j’ai compris que ce n’était pas médicalement négociable (et là le non verbal m’a autant permis de comprendre que les mots),…certes j’étaisTREEES surprise (pour moi tout se passait bien). Ce gynécologue a peut être perdu 45 secondes…mais il ne m’a pas menti. J’avais compris, et je n’étais pas pour autant terrorisée, VOIRE A CONTRAIRE : un médecin qui vous dit STOP, vous avez plus confiance lorsqu’il vous dit ne pas vous inquiéter. Avoir un médecin qui sait aussi vous dire la réalité peut être parfois plus rassurant qu’un médecin qui tente de vous épargner….

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