T’as le look cocognition

Logie de la Mode, et du comportement en général.

« Don’t judge a book by its coverscribens »

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Les neurosciences c’est compliqué.
Si vous en voulez une preuve indiscutable, un de mes bouquins de vulgarisation (auprès d’un public de neurologues) qui aborde la réalité scientifique avec une rigueur et une précision équivalente à celle d’une maîtresse de CE1 expliquant le système solaire, fait quand même 943 pages (pour les masochistes, c’est Neurosciences, 4th edition, Sinauer Associates).

Et dans les neurosciences, le plus compliqué, c’est la cognition.
J’ai déjà fait plusieurs powerpoints sur ce sujet (dont, si vous avez bien suivi, le niveau scientifique est comparable à celui du gosse de CE1 qui après son cours, entreprend  d’expliquer le système solaire à ses parents avec une cerise et une orange). Un de mes problèmes pour faire passer le message est que je n’ai jamais trouvé d’analogie permettant de présenter les mécanismes de cognition à des moldus non-neurologues.

Mais tout vient à point à qui sait voler un œuf, un échange de tweets avec la Boutonnologue m’en a finalement donné l’occasion, alors que je donnais mon avis de neurologue sur une paire de baskets Puma®… de chez Adidas® (ils ont beaucoup d’humour chez Adidas®).

En gros, quels mécanismes neurologiques sous-tendent la « mode », et concrètement, comment vous en servez-vous au quotidien pour cataloguer les gens sans même le vouloir ? (Je n’ai pas dit « savoir » parce que vous le savez parfaitement mais refusez de l’assumer).

Avant de continuer, une précision s’impose : ce billet n’a nullement la prétention de vous présenter une circuiterie fine, de détailler excessivement les mécanismes des fonctions décrites, ou de vous expliquer la méthodologie des expériences cliniques et radiologiques ayant permis de construire ces hypothèses ! (rappelez-vous : CE1, système solaire, orange, cerise, toussa toussa).
Déjà parce que pour chacun de ces éléments il faudrait des dizaines de pages, et que d’autre part, comme souvent en neurologie, constater n’est pas comprendre et il serait puéril et prétentieux de vouloir interpréter outre mesure (c’est d’ailleurs ce qui nous distingue de la psychiat… de l’autre discipline médicale qui s’occupe du la pensée).

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Bon, après cette longue intro, commençons :

Notre héros se nomme Y (oui, « il », pour échapper aux stéréotypes filles <=> fashionistas, et Y parce que j’aime Brian Vaughan).

Voici les faits : Y est devant une boutique et attend son bus. Dans la vitrine il voit un polo rouge avec un crocodile brodé sur la poitrine soldé a 90€ (oui c’est cher les trucs avec un croco dessus, peut-être parce que les crocos sont une espèce protégée ?)

D’autres détails sont importants :
– Y est interne dans un hôpital parisien avec un PUPH vieux jeu,
– sa copine est chanteuse dans un groupe punk,
– son bus passe dans 15 minutes, et s’il le rate, le prochain est dans une heure,
– financièrement … il est interne,
– et dernier point, il n’a pas réellement besoin d’un nouveau polo mais sa copine lui dit qu’elle en a marre de le voir toujours habillé en gris.

Et là, vous vous demandez ce qu’on en a à faire de la vie de Y. L’auteur a-t-il oublié ses gougouttes ? Ce paragraphe est-il en fait autobiographique ? Ou bien est-il la conséquence d’un pari perdu ? Rien de tout ça (et en particulier pas l’autobiographie, mon PUPH n’est pas vieux jeu… Jean-René si vous me lisez je vous salue) : c’est simplement que la cognition sans contexte ça n’existe pas.

A partir de ces faits, voyons sommairement et de façon volontairement caricaturale comment ces différentes informations interagissent pour créer les « affres du choix de vêtement ». Faisons donc un zouli tableau avec trois colonnes : le fait, comment ce fait peut motiver l’achat et comment il peut l’éviter.

Tableau T-as le look coco

Ces éléments pro- et anti-achat ont déjà été décrits depuis des années par diverses professions et de nombreuses théories ont été élaborées pour essayer de les formaliser.
Du point de vue de publicitaire on retrouve les notions de plaisir, représentation sociale (le groupe de potes), identité de la marque (le croco), sentiment d’appartenance (le croco, la catégorie sociale), acceptabilité du prix réel par rapport au prix de revient, etc…
Du point de vue du sociologue on retrouve les notions de positionnement social, effet de groupe, volonté identitaire.
Et du point de vue de la cognition, on est beauuuuuucoup plus terre à terre : cette action (achat) va-t-elle modifier mon environnement (réactions des autres à mon encontre, confort personnel, impact sur mon budget c’est-à-dire mes ressources) ? Si oui, quelles conséquences positives, quelles conséquences négatives ? Quelle probabilité pour chacune d’elle ? Quel équilibre final en terme de récompense (bénéfice)  / punition (risque) ?

C’est là qu’entrent en jeu la cognition et les neurosciences !
Si on reprend le tableau, chacun des faits est traité par des circuits spécifiques, et c’est l’occasion d’introduire chacun d’eux.

Parenthèse n°2 : je vais utiliser des termes anglais, non pas par fainéantise ou snobisme, mais parce que le concept anglais intègre des notions plus larges que celles que l’on obtient lors des traductions littérales (si vous avez un doute, prenez n’importe quel adjectif anglais et vérifiez dans un dico bilingue le nombre de traductions françaises possibles).

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1/  Le polo rouge avec un croco à 90€ soldé dans la vitrine.

Ça implique des aires visuelles primaires (vision de l’objet) et intégratives secondaires dont la voie du WHAT ou voie ventrale occipito-temporale ou parvo-cellulaire (un polo, rouge, avec une étiquette sur laquelle sont écrits un mot et un nombre) et du WHERE ou voie dorsale occipito-pariétale ou encore magno-cellulaire (dans la vitrine, d’une boutique).
Ces deux voies étant anatomiquement distinctes elles peuvent être lésées séparément, ce qui fait encore de nos jours les délices des neuro-ophtalmologues.

Les troubles de la voie ventrale sont les plus connus, ce sont les agnosies visuelles :
C’est ce que vous testez en demandant à un patient de vous montrer un stylo entre une gomme et un marteau réflexe et qui, après avoir échoué, le reconnaît immédiatement après s’il a pu manipuler les objets. Il en existe évidemment des variantes comme la prosopagnosie (incapacité à reconnaître un visage)  ou l’achromatopsie (incapacité à reconnaître les couleurs ou leur signification).
Dans le cas d’Y cela reviendrait à ne pas comprendre que ce qu’il voit soldé à 90€ dans la vitrine est un polo rouge, ni même que c’est un polo.

Les troubles de la voie dorsale se rencontrent principalement dans le syndrome de Balint associant un trouble de l’exploration du regard, une ataxie optique et un trouble de l’attention visuelle. Comme le résumait plus simplement un des premiers patients décrits : « Je ne sais plus où je regarde, je vois bien mais je ne sais pas où c’est. »
Il s’y associe souvent une simultagnosie visuelle, ou impossibilité de voir deux objets simultanément avec le fameux exemple : « Si je regarde une brosse à dents dans un verre, je vois la brosse à dents ou le verre mais pas les deux. »

Avec en plus plein de variantes ludiques pour l’examinateur mais pénibles pour le patient.

– L’héminégligence ou ignorance d’un hemichamp (la fameuse assiette où les petits pois ne sont mangés qu’à moitié… ce qui, dans la mesure où ces patients sont souvent plutôt hémiparétiques, lorsque la cause est vasculaire, laisse songeur sur le degré de sadisme des cuisiniers des hôpitaux).

– L’apraxie constructive ou impossibilité de faire un geste dans un espace : c’est le test du dessin d’un cube en 3D, que le patient rate tout en vous expliquant pourquoi.

– La topoagnosie ou incapacité à situer les choses dans l’espace : par exemple vous demandez à un patient pas trop mauvais en géographie de dire quelle est la ville la plus au nord entre Lille et Marseille puis de la placer sur un hexagone, ce qui lui sera impossible.

– Ainsi que la variante dans la variante, l’allo-topoagnosie ou impossibilité de distinguer son corps de celui des autres : vous demandez au patient de vous designer votre nez et il va montrer le sien.

– Et enfin le « très rigolo » syndrome de Gerstmann associant une indistinction droite-gauche, une agraphie, une acalculie et une agnosie digitale : dans le cas d’Y, cela reviendrait à voir un polo rouge soldé à 90€, mais sans savoir que c’est dans la boutique et sans savoir que 90 ça fait 90. Ou encore comparer cette somme à un absolu… relatif : 90€ c’est absolument cher pour Y mais s’il était PUPH, 90€ ne serait même pas le prix de cinq minutes de conférence.

Mon immeeeeense expérience (mémoire, système limbique + gnosie) m’a appris qu’après cette partie sur les voies visuelles, un moment de répit est souhaitable. Videz-vous l’esprit en regardant la météo actuelle sur votre téléphone et comparez-la à ce que vous voyez par la fenêtre. Reprenez la lecture lorsque vous serez certain que c’est la réalité qui est exacte.
Prêts ? Attention gros morceau mais petit paragraphe :

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2/  Porter un polo ça passe à l’hôpital, ça passe aussi vis-à-vis de son PUPH, mais le rouge ça risque de faire croire à son PUPH qu’Y est bolchevique, le croco ça risque faire snob ou racaille, le polo ça peut mal passer avec les potes de sa copine.

Toutes ces réflexions impliquent des mécanismes très évolués et parfois discutés car ils sont, jusqu’à preuve du contraire, des éléments de réflexion qui ne sont connus que chez l’humain. La tentation est donc grande pour certains de sauter le pas et de décrire ces mécanismes comme définissant l’humain.
Pour qu’Y se pose autant de questions, il faut que son cerveau ait la capacité de comprendre qu’il a des croyances, intentions, désirs, souhaits, connaissances, etc., que ces éléments lui sont propres et par conséquent qu’ils peuvent être distincts de ceux d’un autre individu. C’est à la fois la capacité d’être conscient d’avoir une pensée et être conscient que les autres en ont également une, qui plus est différente.
En neuroscience, cette meta-fonction (blabla pour dire « fonction regroupant d’autres fonctions ») est explorée par la Theory of Mind.

Alors j’entends déjà Marie-Micheline, championne du jeu « Des chiffres et des lettres » depuis 1539 et l’ordonnance de Villers-Cotterêts me dire « OUATE et OUÈRE passent encore, mais Theory of Mind alors qu’en français on peut dire Théorie de l’Esprit, là c’est NON ! Allez, un blâme et au coin ! »
Hélas Marie-Micheline, et rangez donc ce martinet, je suis obtus. En effet, cette théorie ne postule pas que vous ayez un esprit (nous ne sommes ni chez les croyants ni chez les philosophes) mais essaie de décrypter ce qui est « vous » lorsque dans votre tête vous dites « moi ». Le premier freudien qui se lève en disant que Sigmund a appelé ça le « Moi », il me donne son nom et je viens lui parler des horreurs que son pote le vieil autrichien a dit sur sa mère.

Reprenons.
Les recherches en neurosciences ont (en 2013) identifié plusieurs structures comme étant impliquées :

Aire postérieure du sillon temporal supérieur : perception de l’intention dans l’action humaine (distinction d’une main levée volontairement et d’une main levée par un intervenant extérieur), et perception de l’adéquation d’un geste dans un contexte donné (tenir une feuille de papier dans la bouche quand on a les deux mains occupées et tenir une feuille dans la bouche les mains vides les bras ballants).

Cortex amygdalien : capacité à lire l’état émotionnel dans le regard d’autrui.
Plutôt que de faire un long paragraphe avec des photos, je vais plutôt prendre un cas très particulier mais qui à mon avis est très explicite : les smileys (« émoticônes » pour Marie-Micheline). C’est cette capacité qui vous permet de dire que « :-) » est équivalent à « :) » , les deux signifiant « sourire » et donc « joie », « bonheur ». Vous les identifiez également comme étant des équivalents de « (^_^) » ou  « ^^ » alors que pourtant le dessin n’a rien à voir, et vous les distinguez également de « ;-) » dont la graphie est proche mais dont le sens est distinct.
C’est cette fonction qui permettra à Y de porter son polo rouge devant son PUPH, en regardant si celui-ci acquiesce ou désapprouve, sans même que ce dernier n’ait à lui faire une remarque ou un sous-entendu. C’est un élément parmi d’autres du langage non-verbal (et c’est probablement une des structures qui dysfonctionne dans certains syndromes autistiques).

Jonction temporo pariétale droite : représentation de l’état mental d’autrui, et identification des tâches inutiles (ouvrir le bouchon d’un stylo imaginaire).

Région postéro-médiale du lobe pariétal (Precuneus) : impliquée dans la représentation de soi. En gros, quand vous agissez ou pensez à autrui cette zone ne fait rien,  quand vous êtes au repos et pensez à vous elle s’active. Dans le cas d’Y, c’est une des zones qui serait impliquée, en association avec la mémoire (régions limbiques), dans ses réflexions sur « Comment me regarde-t-on ? Comme un snob ? Comme une racaille ? Je ne sais pas ! Je veux me cacher ! Je veux ma maman ! »

La fonction précédente est proche de celle du cortex préfrontal médial, responsable de cette chose fabuleusement stupide : faire quelque chose qui vous est a priori inutile ou nuisible, pour plaire socialement ! C’est cette zone du cerveau qui fait que vous fumez à l’adolescence parce que les autres le font alors que vos parents vous ont expliqué que c’était mal et qu’en plus vous le savez.
C’est probablement également cette zone qui est responsable de quelque chose d’encore plus stupide : le gain moindre supérieur aux autres ! Ça c’est un des trucs les plus rigolos qui soient, et que nos politiques et nos urbanistes devraient comprendre avant de se lancer dans des projets tout foufous. L’exemple est simple : vous demandez à un individu si, dans un groupe de deux, il accepte de recevoir 500€ tout en sachant que l’autre va recevoir 600€, sachant que s’il refuse les deux auront zéro. Dans ce cas il accepte les 500€. Maintenant vous lui demandez si, dans un groupe de 50 il préfère gagner 1500€ alors que tous les autres auront 2000€ ou 1000€ sachant que les autres gagneront 500€. Et bien bingo, les gens préfèrent gagner moins s’ils ont la certitude que les autres gagnent encore moins.
Dans le cas d’Y, c’est l’activation de cette zone, qui lui fait craindre de passer pour un blaireau avec son petit polo rouge aux yeux des potes de sa punkette.

Bon je dis ça comme ça, mais je pense que vous avez besoin d’une deuxième pause. Rassurez-vous, si vous êtes toujours là, vous avez passé le plus dur.
C’est bon, vous avez vidé votre cerveau en rejouant le premier niveau d’Angry Birds® ?

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3/ Sa copine : il FAUT lui faire plaisir parce qu’au mieux Y est un gars bien et il l’aime, au pire Y est un arriviste de première et il attend quelque chose en échange avec son polo rouge !

Ça c’est le rôle du circuit de la récompense. Comme je devine votre fatigue, je ne détaillerai aucune structure anatomique ! Rien ! Et ce pour la simple raison que ce sont des noyaux de noyaux dans des noyaux et qu’on tomberait en plein syndrome d’inception (ou pire).

Cependant, si l’anatomie en est supra bordélique extrêmement complexe, le fonctionnement en est simple. Ces structures comparent à tout moment ce qui peut se passer à des situations identiques stockées en mémoire. Si la situation est entièrement nouvelle, pas de problème : elles compareront le résultat de vos actions au souvenir d’autres situations entièrement nouvelles. Si la dernière fois l’action s’est terminée par une récompense, ces structures vont renforcer la persévération dans l’action en cours. Si la dernière fois ça s’est mal fini, elles vont renforcer la fuite (changement d’attitude). Il y a par contre un tout petit biais : la façon dont vous vous souvenez du résultat de l’action passée sera influencée par votre taux de L-Dopa. Si vous avez beaucoup de L-Dopa, vous allez considérer comme positif le résultat d’un truc en réalité négatif, et vice versa.
Un exemple : la première fois qu’Y a invité sa copine au resto, il l’a pécho elle l’a embrassé ensuite. Maintenant qu’ils sont ensemble, il sait que si un jour il rencontre une autre fille, le resto c’est un bon plan. Mais si Y est carencé en L-Dopa, la prochaine fois qu’il rencontrera une fille, il ne fera rien. Et si Y est complètement chargé en L-Dopa (s’il devient parkinsonien et qu’on lui prescrit un agoniste dopaminergique, ou plus probablement s’il est sous l’emprise d’une drogue agissant sur les mêmes récepteurs, comme la cocaïne), la prochaine fois qu’il rencontrera une fille, il l’invitera au resto et lui sautera dessus dès l’apéro demandera de l’épouser.

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Voilà, pour les survivants la partie neurosciences est finie !

Ce qui est sympa à faire par la suite, c’est de voir au quotidien, en consultation, si le look de vos patients est en adéquation avec leur intérêt particulier, leur image sociale, le souhait de leur entourage, la perception de leur image par rapport à ces contraintes et surtout l’adéquation de leur comportement à ces contraintes. Pour faire simple, si vos patients ont un look passe partout ou au contraire original, et si c’est adapté à leur situation.

Si la copine d’Y vient en jupe plissée mi-mollet vert foncée, manteau matelassé, serre-tête en velours, ça veut dire quelque chose ! Si le DRH de l’hôpital vient vous voir avec un t-shirt AC/DC et des Docs® montantes, cela veut également dire quelque chose… Et si vous-même, sous votre blouse vous portez un t-shirt « Trust me, I’m the Doctor », ce n’est pas innocent !

15 réflexions sur “T’as le look cocognition

  1. En Justice, où l’on est supposés avoir une soif intense de Vérité et de Compréhension du comportement qu’on juge, on fait communément appel aux psychologues et aux psychiatres – c’est même obligatoire en matière de crimes ; mais pas (jamais) aux neurologues (sauf dans un cas précis : lorsqu’on a un doute sur une « abolition du discernement » permettant d’exclure une responsabilité pénale du fait d’un « trouble psychique ou neuropsychique » – autant dire pas bien souvent…) : savez-vous pourquoi, et serait-ce à votre avis une bonne idée ?

    Là dessus comme j’ai tout lu d’une traite, je vais prendre un médoc pour ventiler le cerveau..!

    • Trois raisons principales que je dois un peu détailler avant de répondre :

      La première est liée à la répartition historique des tâches entre neurologues et psychiatres. En 1976 (à vérifier), ces deux spécialités se sont séparées. Les anciens étaient tous neuropsychiatres (trace qui reste de nos jours dans la cotation des consultations, les deux spécialités cotant une CNPsy, mais ça, c’est une autre histoire). Les neurologues sont devenus les spécialistes du fonctionnement du cerveau, les psychiatres sont restés (il n’y pas d’erreur dans le choix de mes termes) les spécialistes de ce que l’on pourrait appeler l’esprit. Cette séparation s’est avivée jusque dans les années 1990-2000 avec un mépris de plus en plus marqué des neuros vis-à-vis de la psychiatrie « engluée dans des théories de science sociales, frisant le charlatanisme » – citation de mes maîtres. Inutile de dire que les psychiatres n’en pensaient pas moins.
      Depuis dix ans, les deux spécialités confrontées à la réalité ont entamé un rapprochement. En neurologie, ça s’est traduit par le développement des sciences cognitives et en psychiatrie par le développement de la psychiatrie biologique.

      La deuxième est liée à la méthodologie : la neurologie, même cognitive, n’est pas interprétative. Elle part de symptômes systématisés dont la qualification est indépendante du patient ou de l’observateur, les associe en syndromes fixes, les confirme en imagerie ou en biologie et les traite (parfois) avec des molécules spécifiques. La psychiatrie (en essayant de ne pas déformer leur démarche), par de symptômes relatifs (variables selon les âges, la culture, l’environnement social) du patient et de l’observateur, les associe en syndromes variables selon les écoles, ne les confirme par aucun examen complémentaire et (parfois) les traite avec des molécules non spécifiques et avec des thérapies non médicamenteuses (entretiens, accompagnement, etc.).

      La troisième est liée au… système judiciaire : lorsque notre avis est requis, les questions ont une portée générale : mademoiselle Rose avait-elle son discernement en poignardant le colonel Moutarde dans le salon ? La réponse attendue à cette question est oui ou non, au pire peut-être, et non, l’hippocampe de mademoiselle Rose était sur stimulé par la voie dopaminergique non-motrice.

      Pour répondre directement à la question « pourquoi ? » Ma réponse est : parce que d’une part, historiquement, les psychiatres ont pris la suite des neuropsychiatres comme interlocuteurs de la justice pour répondre aux questions sur « l’esprit humain », et, d’autre part, parce que les neurologues, sont incapables de répondre aux questions de la justice dans leur formulation actuelle (et il me semble peu probable que la justice fasse l’effort de se former en neuro-cognition pour apprendre à poser les bonnes questions).

      Pour ce qui est de mon avis sur la possibilité de faire intervenir plus souvent des neurologues, je dirais que le principe est bon, mais la réalité contrariante. La cognition est une sur spécialité parmi d’autres en neurologie, et chaque neuro-cognitiviste est spécialisé dans une fonction. La probabilité pour un avocat, d’identifier un possible de trouble neurologique, puis de trouver le cognitiviste de ce type de trouble, et enfin que ce dernier soit capable de répondre au-delà d’un résultat à un score est… très faible.
      Un de mes collègues a été formé en neuropsychiatrie, et avec l’aide d’un neuropsychologue, docteur en science, il est l’interlocuteur adoré de l’ensemble du système judiciaire local. Il ne se connait aucun autre équivalant en France, et il n’est pas du genre prétentieux.

      • Merci infiniment de cette réponse euh, charpentée.

        Je comprends l’historique, mais…

        Mais je trouve que nous avons, au plan judiciaire, atteint, assez largement, les limites d’investigations des psys (je note au passage que vous ne parlez pas des psychologues, dont je sais qu’ils ne sont pas médecins, et dont j’apprécie pourtant les rapports autant que je suis régulièrement effrayé du poids qu’on leur donne dans une enceinte judiciaire – autre vaste sujet…) et votre article passionnant me faisait me dire, puisque vous preniez volontairement un exemple (censé (ou sensé je ne sais jamais) être) simple : « mais bordel, moi qui rame tant à expliquer les comportements à chaque procès, d’assises notamment, en expliquant que l’âme humaine est une boule à facettes dont aucune ne projette jamais la lumière deux fois de la même façon, mais sans pouvoir l’expliquer scientifiquement, pourquoi ne disposerais-je pas d’une analyse de ce type à chaque fois ? »

        Nous avons, depuis l’après Outreau (que le législateur a bien voulu compléter d’un « Ouc’estpasassez »), la possibilité désormais de compléter les missions données aux experts psychiatres ab initio, pour rebondir sur votre indication : « parce que les neurologues, sont incapables de répondre aux questions de la justice dans leur formulation actuelle (et il me semble peu probable que la justice fasse l’effort de se former en neuro cognition pour apprendre à poser les bonnes questions) », nous pouvons poser ces questions, et nous pourrions obtenir non pas, je suppose, des réponses absolues, mais au moins des schémas, des pistes, des commencements de raisonnements…

        N’importe quoi, en fait, nous permettant d’arriver au plus près de l’homme qui est là, et dont, combien de fois, l’acte demeure totalement inexpliqué – et totalement impossible même à envisager.

        Les « bonnes questions », finalement, pour qu’un neurologue spécialisé en cognition puisse intervenir utilement, ne consisteraient-elles pas à lui demander, comme on nous disait à l’armée de mon temps, « au moment des faits, comment êtes-vous, que voyez-vous, que faites-vous ? » (bon, en un peu plus tordu, je suppose…).

        Bref, à vous lire, j’ai envie de ne pas me passer de vous notamment dans mes cas les plus lourds, ceux pour lesquels l’incompréhension totale demeure, ceux où la psychiatrie me répond, et elle à raison je pense, qu’il n’existe pas de troubles mentaux, juste une personnalité mal structurée qui n’explique en rien les faits (atroces) reprochés – je pense par exemple à un jeune père qui a tué son bébé dans des conditions épouvantables, qu’on ne va pas pardonner ce qui est normal, mais auquel personne ne comprend rien, ce qui l’est nettement moins…

        C’est décidé, je vous fais inclure dans le code de procédure pénale – merde à la fin, nous prétendons expliciter les méandres d’une décision criminelle, et on se contente communément de bribes d’explications jamais convaincantes…

        Merci encore en tout cas.

  2. Le rouge ce n’est pas uniquement signe d’agressivité , il faud’entreprisequer les voitures de sports rouges et toutes les autres voitures rouges.
    C’est un signe d’action, de courage, de volonté, de force, d’entreprise …. le rouge est en lien avec la réussite financière …
    Et oui le crocodile une espèce protégée et aussi exploité par des fins de profit
    Il faudrait connaître la valeur symbolique de ce logos qui est associé au rouge.
    Es-ce que de porter un crocro ça aide pour attirer la réussite sociale ???

  3. j’ai sévi 5 semestres en gardes d’usic avec 1T shirt représentant Achille Talon en position du Lotus: maintenant je peux comprendre pourquoi c’était une bonne idée la science moderne est merveilleuse mille fois merci!

  4. Très intéressant pour les néophytes aussi !

    Je dis ça parce que le public visé a l’air d’être essentiellement les médecins et étudiants en médecine, alors qu’à mon avis ce genre de blog mériterait d’être écrit pour, et lu par, plein d’autres gens, comme les gens de justice par exemple :)

    Mais peut-être est-ce déjà le cas, auquel cas je sors ! (mais pour mieux revenir)

    • Merci beaucoup. On parle souvent de médecine évidemment, et certains articles sont/seront un peu « techniques », mais on est heureux d’arriver à intéresser d’autres personnes, en racontant des histoires de patients, en s’interrogeant sur notre pratique, et dans nos sections plus « personnelles ».
      Revenez quand vous voulez !

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