Un brin de Causette

Chère Causette, chère Pauline Marceillac,

Je suis pédiatre, femme, mère, lectrice. Ce mois-ci, comme parfois, j’ai acheté Causette. Parce que j’en aime bien le ton, le contenu, parfois même les partis pris. Mais ce mois-ci, aussi, il y a un article de quatre pages [1] qui traite d’un sujet que je connais bien.

L’oncologie pédiatrique.

C’est dans cette sur-spécialité que j’ai choisi de me former, depuis maintenant quelques années, à l’hôpital et dans un laboratoire de recherche. J’ai bien sûr déjà entendu parler de Mme Delépine.
Le fond des choses, de son approche, de ses points de vue, je les connais. Ce n’est (presque) pas ça qui me gêne. Mais plutôt l’article que vous avez rédigé en regard.

J’entends bien que le milieu médical, et peut-être encore plus celui de la recherche clinique, peuvent paraître obscurs. Je constate malheureusement que vous ne donnez absolument pas au lecteur/à la lectrice les clefs pour mieux l’appréhender.
Que Mme Delépine y défende ses idées, pourquoi pas, mais c’est peu dire qu’elles font débat. Ainsi, il me semble problématique que vous vous limitiez à tout relater à travers son prisme sans offrir d’espace à un contradicteur, ou à tout le moins sans un minimum de fact-checking.

Dans les premières lignes, vous parlez d’ « essais thérapeutiques à grande échelle financés par les laboratoires pharmaceutiques. »
Dans les Propositions du groupe d’experts inter-Instituts Thématiques Multi-Organismes de recherche Clinique d’Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé), publiées récemment et disponibles à tout à chacun en ligne, il est mentionné : « Les chiffres de l’European Medicines Agency […] indiquent que 40% de ces essais cliniques de médicaments en Europe ont un promoteur non-commercial. Ce chiffre était autour de 25% en 2006. Si l’on considère les études cliniques en général, la proportion est plus élevée car la quasi-totalité des études hors produits de santé est à promotion académique. »
Il est donc faux de résumer la recherche clinique à la promotion industrielle. De nombreuses sociétés savantes, dont la SFCE (Société Française de Lutte contre le Cancer et les leucémies de l’Enfant et de l’adolescent) ainsi que des Centres de Lutte contre le Cancer assurent la promotion de telles études, le plus souvent en utilisant, tout comme Mme Delépine, des molécules classiques, et en jouant plutôt sur les doses, les associations et la fréquence.

Vous parlez ensuite de « traitements standardisés », et en citant Mme Delépine, de patient « cobayes » et d’ « usines à cancer. »
Avez-vous tenté de visiter un service d’oncologie pédiatrique, de ceux dont Mme Delépine dénonce le fonctionnement, ou encore rencontré des jeunes patients, et leurs parents, pris en charge dans d’autres services que celui de Garches ? Avez-vous tenté d’organiser un entretien avec un épidémiologiste ou un oncologue afin qu’il vous explique ce qu’est un protocole ou un essai clinique ?
Pensez-vous vraiment que TOUS les enfants atteints de la MÊME tumeur sont STRICTEMENT traités de la même façon, indifféremment de leur âge, de la localisation de leur tumeur et d’éventuels autres problèmes de santé ?

Mme Delépine résume la recherche clinique aux « sujets recevant un traitement ou un placebo […] choisis au hasard » ; « cobayes en phase 1, 2, 3 » ; « molécules innovantes. »
La lectrice de Causette sait-elle ce qu’est une étude de phase 2 ? Imaginez-vous un seul instant que l’approche initiale puisse être de donner un placebo à un enfant atteint de cancer ? Une telle attitude serait bien évidemment intolérable, et il serait donc impossible de mettre en place une telle étude au regard de la loi Huriet, que jamais vous ne citez, qui définit les conditions légales de la recherche biomédicale en France. Les nouvelles molécules sont évidemment testées contre le meilleur traitement disponible à l’heure actuelle, soit le traitement « de référence. » Ceci est de fait en accord avec le serment d’Hippocrate et « les données acquises de la science. »
Il est également prévu par cette loi qu’un patient puisse refuser d’être inclus dans un protocole, ou le quitter à tout moment, sans altérer sa relation de soin avec son médecin. Cela arrive tous les jours. Certains patients ont pu être victimes de pressions de la part de leur oncologue, ou encore pris en otage par un « chantage au protocole. » Il faut bien évidemment condamner ces situations, et les réprimander avec force. Mais insinuer qu’elles sont la norme relève au moins d’une profonde méconnaissance du terrain de la recherche biomédicale, sinon de malhonnêteté intellectuelle.

Je vous renvoie à l’excellentissime livret « Mon enfant et la recherche clinique en cancérologie » disponible sur simple demande auprès de l’Espace éthique de l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris, qui explique tout ceci en des termes clairs et accessibles.
Pour n’en citer que quelques lignes : « La médecine ne sait pas tout guérir ; pour progresser, elle a besoin de nouveaux traitements efficaces, correctement évalués. La recherche a pour objectif de mieux traiter les enfants pour en guérir le plus possible avec le moins de séquelles possibles. La recherche doit être aussi sûre que possible, mais il restera toujours une part de risque et d’incertitude en raison de la nouveauté du médicament, de la technique ou de la stratégie thérapeutique qui fait l’objet de la recherche. Dans tous les cas, c’est l’intérêt de l’enfant qui prime. Participer à une recherche permet d’améliorer les traitements pour l’avenir ; cela permet parfois aussi d’accéder rapidement à un nouveau traitement prometteur. Dans le futur, les enfants malades continueront de bénéficier des résultats de ces recherches, tout comme les enfants d’aujourd’hui bénéficient des recherches biomédicales passées, dans une chaîne de solidarité. »

Comme il est réducteur d’imaginer d’un côté de vils oncologues pédiatres à la solde de l’industrie pharmaceutique et des revues prestigieuses, et de l’autre Mme Delépine portée par « les familles, […] les enfants. »
Il y a beaucoup de choses à raconter sur l’hôpital, la pédiatrie, et les femmes qui y travaillent. Y compris le point de vue de Mme Delépine et son approche du cancer de l’enfant. Mais le faire dans un tel flou, avec un tel biais et un tel dédain pour le travail des autres oncologues pédiatres ne me paraît pas raisonnable. Ni pour eux, ni -surtout- pour leurs patients.

À votre entière disposition pour poursuivre cette discussion.

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1. Article dont je ne peux pas reproduire ici la version papier mais dont les larges extraits sur internet permettent d’assez bien en saisir le ton général. []

11 réflexions sur “Un brin de Causette

  1. merci, article très intéressant pour l’interne MG que je suis!

    Petit souci technique: le lien pour l’espace éthique de l’AP-HP ne fonctionne pas!

  2. Nicole Delépine est une menteuse.
    Nicole Delépine ne sait pas de quoi elle parle.
    Nicole Delépine est une folle.
    Pour ce qui est de la pédiatrie, je ne sais pas bien si ce que vous dites est vrai mais j’ai retranscrit vos propos. Lui direz-vous en face ? Supporterez-vous son regard ? Vous lui direz qu’elle ment ?
    Pour l’oncologie adulte, je sais des choses, je sais des malades qui n’ont rien à faire dans des essais et qui ne savent mêmê pas qu’ils y participent, je sans le chantage aux traitements.
    Je sais les essais cliniques qui ne sont faits que pour corrompre les investigateurs ou pour les rémunérer sous le manteau.
    Je sais les examens complémentaires inutiles, je sais la sous sous sous déclaration des effets indésirables par les oncologues. Je sais les oncologues formés en six mois et qui font de l’oncologie et non de la médecine.
    Pour ce qui est des essais cliniques contre produits des référence : rigolade. Je sais les AMM à la va vite, les AMM obtenues pour trois jours (significatifs) de survie de plus pour des produits de deuxième, troisième ou quatrième ligne, je sais aussi les RTU qui engloutissent les budgets hospitaliers et qui font la fortune des instituts… privés.
    je sais les associations de patients qui font pression avec l’argent de big pharma…
    Si ce que vous dites de Madame Delépine est vrai, que ne la dénoncez-vous au Conseil de l’Ordre ?
    La façon dont les patients sont traités dans le monde entier par les oncologues mériterait un jury d’honneur.
    Bonne soirée.

    • Je n’y connais pas grand chose en oncologie pédiatrique. Je n’y connais pas beaucoup plus en médecine en général, n’étant que jeune interne.

      Cependant, Lorsque je lis l’extrait du site Causette, puis le texte de Une_pediatre, je ne comprends ni « Nicole Delépine est une menteuse », ni « Nicole Delépine ne sait pas de quoi elle parle », ni « Nicole Delépine est une folle ».
      Je comprends l’article de Causette comme un article à charge.
      Je comprends le discours de Nicole Delépine, tel qu’il y est retranscrit, comme pouvant se résumer à « Il faut faire de la médecine personnalisé à notre patient, sur des données solides acquises de la science » mis côte à côte à « je refuse de participer / faire participer mes patients à des essais cliniques [qui servent à consolider et faire progresser les données de la science] ».

      Si je ne connais rien en oncologie pédiatrique, j’ai eu l’occasion au cours de mon internat de faire un peu d’oncologie adulte et plus particulièrement gériatrique. La personnalisation des prises en charge (avec ou sans essai clinique) y est omniprésente. J’imagine mal être passé dans les seuls services de France où la médecine est pratiquée ainsi. Je ne crois pas trop au petit village d’irréductibles.

      J’entends néanmoins certaines critiques, à savoir prendre du recul vis à vis de la production scientifique financée, vis à vis des recommandations officielles et même vis à vis de l’information en général ; ou encore les critique vis à vis du comportement de ceux qui, je le suppose et l’espère, ne sont pas nombreux.
      Mais ces critiques sont dépeintes de manière caricaturale et sont noyées dans un discours qui, si ce n’est pas à dessein, met à mal le travail quotidien des chercheurs (cliniciens ou pas) de vulgarisation de leur travail.

      Aussi je ne m’inscris absolument pas dans votre commentaire, qui prête à Une_pediatre un jugement de personne là où elle s’attaque aux propos.

      Bonne journée.

    • Je pense qu’unepediatre sait tout ça.
      L’oncologie n’est PAS DU TOUT mon terrain, mais j’ai une petite culture médicale, et du coup, après avoir lu l’article de Causette, celui là, et votre commentaire, je pense qu’il faudrait que tout le monde se calme.

      Causette a fait un article que j’ai trouvé très intéressant, parce que ça signifie qu’il reste en France des services qui font de la médecine personalisée, loin de ce que j’ai pu voir pendant mes études, loin de ce que j’ai pu entendre chez des amis internes.

      L’article reste cependant à charge, et je pense que ce qu’unepediatre viens souligner assez justement, c’est qu’il n’y a aucun droit de réponse et que la journaliste, au lieu d’aller chercher les détails, se contente de dresser un portrait avec un « Cet endroit va fermer, c’est injuste ».

      Je pense qu’on ne peut pas limiter un article de journalisme à une vision unilatérale du monde, c’est de la triche.

      Il y a des dérives, il y a saloperies, il y a des histoires de gros sous en jeu, mais il doit aussi y avoir plus d’un seul onco-pédiatre non corrompu en France, non ?

      C’est une simple question, mais… Ce billet a le mérite d’ouvrir un peu le débat, là où l’article de Causette ne propose aucune ouverture.

  3. Bonjour!
    Je n’y connais pas grand-chose en médecine, même si j’ai déjà entendu parler de Madame Delépine…
    Toujours est-il que ce n’est pas la première fois que Causette nous offre ce genre de vulgarisation grossière et totalement subjective.
    C’est dommage qu’un journal qui se veut sérieux et féminist-friendly soumette au public des articles de moins en moins structurés et recherchés.
    J’ai arrêté de lire après l’horreur qu’ils avaient écrit au sujet de la prostitution. (http://www.lesinrocks.com/2013/10/30/actualite/causette-nouvelle-polemique-autour-dun-article-contre-prostitution-11440889/)

  4. Le discours qui dit en gros : la vie de votre enfant passe par moi, les autres médecins de france sont des pourris, je suis la seule à faire des traitements personnalisées… L’idée de liberté thérapeutique, du tous cobayes, le culte de la personnalité (il faut voir son site internet), des parents qui sont prêt à tout pour soutenir son combat… Ca me fait beaucoup penser à une derive sectaire, mais sans le délire ésotérique et new age qu’on retrouve habituellement, je ne pensais pas que c’était possible.

    Quand on voit le succès de reportages et documentaires sur les scandales en lien avec la santé, avec des multinationales cyniques et des experts corrompus, je peux comprendre que le discours du Dr. Delépine puisse séduire des journalistes et des lectrices/lecteurs étrangers à l’univers de la santé.
    Je ne suis que externe et donc j’ai une vision encore très naïve et limitée mais j’ai du mal à avaler son discours et je le trouve insultant vis à vis des médecins qui se battent pour leurs patients dans d’autres services à travers la France.

  5. Juste pour revenir sur l’idée de dérive sectaire : le Dr. Delépine a eu le droit à un documentaire choc sur un ton assez hagiographique (Du moins si on se fie à la bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=l46CB2mxYQ0)

    Si on regarde les autres productions du réalisateur, on est plein dans l’univers des gourous et autres charlatans : http://www.jeanyvesbilien.com/mes-films/

    C’est vraiment triste de voir que la presse relaie les propos du médecin et des parents sans chercher à creuser le personnage :(

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