La maladie de Parkinson pour tous (1) : stupeur et tremblements

Après que Boutonnologue nous a raconté comment elle a sauvé une rhinite, l’économie française, et le monde, avec du Ciflox®, on se sent tout petit petit.
Mais il existe un avantage non négligeable à cela : si ce que j’écris vous semble fade, je pourrai toujours m’en sortir avec l’excuse que c’est de sa faute à elle, parce que maintenant que vous êtes habitués à ça :

on ne pourrait pas complètement vous en vouloir d’avoir du mal à vous passionner pour ce qui va suivre :

Je vais donc tenter ma chance avec : la maladie de Parkinson (tadaaaam !)

Comment introduire ce sujet ?
Pour les neurologues qui aiment ça (et j’en suis), c’est un peu l’équivalent de l’herbe à chat pour les félins : on peut passer des heures à se rouler dedans sans se lasser. La raison est simple : ça englobe toute la neurologie possible et imaginable. Il y a des circuits bien compliqués, des termes bien greco-latino-klingons, et des examens purement cliniques particulièrement subtils ! En revanche pour les autres neurologues, en particulier pour les neurovasculaires, c’est la punition ultime. Je vais donc tenter de vous démontrer qu’ils ont tort comme à leur habitude.

Pour vous prouver que, nous autres neurologues, sommes des êtres cultivés (et pour vous permettre ni vu ni connu de frimer en société), quelques mots sur James Parkinson. James est né en 1755. Pour vous donner une idée, l’année de sa naissance Louis XV et Georges III commencent les hostilités de ce qu’on nommera la guerre de Sept Ans, qui fera 1 300 000 morts, puis conduira à l’indépendance américaine et à la Révolution française.
Vous allez me dire que vous n’êtes pas là pour vous taper des cours d’histoire, et vous avez raison, mais c’est pour vous dire que James Parkinson est un homme d’un autre temps et qui en plus ne s’intéressait pas à la médecine ! Non, son truc à James, c’était la politique et les cailloux !
Ses contemporains le connaissaient pour avoir participé à un complot visant à assassiner le Roi Georges III mais avec une flèche empoisonnée tirée par une… arme à feu (la complexité du plan fait clairement de lui un neurologue), et pour avoir fondé la Geological Society of London.
Tout ça pour vous dire que son petit bouquin (en fait, une grosse observation pédagogique) « An essay on the shaking palsy » paru en 1817 n’a marqué aucun esprit, même pas le sien, alors qu’il allait finir par révolutionner la neurologie.

OK, maintenant que les trois-quarts de ceux qui ont commencé à lire cet article sont désormais partis regarder un reportage sur l’élevage des pétoncles à Terre Neuve, voici le moment où ce billet commence à devenir ludique.
Commençons par un peu de séméiologie motrice (celui ou celle qui souffle en regardant au ciel peut sortir immédiatement) : votre cerveau est organisé de façon hiérarchique et autoritaire, le lobe frontal commande, les centres inférieurs exécutent, et s’ils ne sont pas contents hé bien c’est le même tarif !
SAUF QUE le lobe frontal c’est que de la gueule (surtout le lobe frontal gauche qui possède le centre du langage), parce que pour ce qui est de faire, monsieur ne sait même pas où se trouve l’usine ! Une preuve : avant de faire médecine, vous le saviez, vous, combien le corps humain a de muscles, d’os, de tendons, de nerfs…? Non ? Ben ça tombe bien parce que « vous » – ou plutôt la conscience d’être « vous » – c’est dans le lobe frontal.
Alors si le lobe frontal ne sait pas comment faire, « Qui fait le job ? » allez-vous probablement me demander ? (notez que quoi qu’il arrive je vais vous le dire quand même)
Le job qui consiste à mettre en œuvre et coordonner les ressources nécessaires à la réalisation d’un acte (moteur ou non) est effectué par un vaste ensemble de noyaux profonds, collectivement nommés les « noyaux gris centraux » ou N.G.C.

En clair :
…….• Votre frontal décide : « Je veux courir ! »
……. Il envoie l’ordre à son ingénieur, le cortex pré-moteur, qui se prépare à commander les jambes et demande aux NGC comment faire.
……. Les NGC vont analyser la demande, regarder si elle est réalisable (« Euh, dites, vous êtes sûr ? Nan parce que là on est en train de se faire les ongles, ça risque d’être chaud ! -Yep, le boss, il a dit qu’il voulait courir ! -OK, on va chercher le programme course et on s’en occupe ! »)
……. Les NGC chargent le programme course dans l’automate qui exécute (ici le cortex moteur = pyramidal = Rolando).
……. Et l’organisme se met à courir.

Là où ça devient intéressant, c’est quand on examine les conséquences d’un arrêt de fonctionnement des NGC. Le frontal veut courir, le pré-moteur identifie le besoin d’utiliser les jambes et… rien ! Comme il n’y a personne pour charger le programme « course » dans le pyramidal, il ne se passe absolument rien !
Le frontal s’en aperçoit et convoque le pré-moteur : « Dites donc Jean-Pierre… Je peux vous appeler Jean-Pierre ? Bien, il me semble vous avoir demandé quelque chose non ? -Oui patron, mais ce sont les NGC, ils sont malades ! -Écoutez mon petit Jean-Pierre, je suis généreux, vos problèmes, je vous les laisse, mais je VEUX courir ! »
Le pré-moteur doit donc trouver tout seul comment faire et manipuler seul le cortex moteur, alors qu’il ne l’a jamais fait et qu’il n’y a aucun mode d’emploi.
Comme le cortex moteur est une structure simple, le pré-moteur va réussir en utilisant la célèbre technique informatique (si chère à Boutonnologue) qui consiste à appuyer sur tous les boutons et à taper sur la machine. Ainsi il va finir par obtenir ce qu’il veut, mais ce sera très laborieux.
Et pendant qu’il est occupé à tripoter les machines, le pré-moteur ne peut rien faire d’autre, du coup entre chaque séquence motrice (pas numéro 1 – pas numéro 2), il bloque le geste là où il est et il ne s’occupe absolument pas de ce qui n’est pas impliqué dans ledit geste.

Traduisons maintenant tout ça en termes neurologiques.
Le dysfonctionnement des NGC se nomme par les conséquences de son arrêt : le syndrome extrapyramidal. Rien à voir avec le Louvre, Khéops, Khephren et Mykérinos, c’est simplement que le terme de pyramidal est réservé aux troubles moteurs des voies pyramidales. Comme les NGC se situent en amont, on parle d’extrapyramidal.
Ce syndrome se caractérise par :
…….1- La lenteur d’exécution des tâches qui deviennent laborieuses : akinésie.
…….2- Les micro-blocages permanents du geste qui donnent une sensation de rigidité. Cette rigidité est dite en tuyau de plomb, ou rigidité plastique, parce qu’entre deux déplacements du segment de membre, la posture est maintenue.
…….3- Pendant que le pré-moteur s’occupe de bouger, il ne peut contrôler le reste, reste qui se met alors à n’en faire qu’à sa tête et se met à trembler.
Ces trois symptômes constituent la triade parkinsonienne (rien à voir non plus avec des mafieux chinois qui seraient agités de tremblements).

Pour les mettre en évidence, il faut comprendre comment ils peuvent se combiner et demander au patient d’effectuer diverses tâches de la vie courante.
L’akinésie, c’est de la lenteur, là c’est facile : demandez-lui s’il lui faut plus de temps pour s’habiller ou manger. Demandez-lui également de réaliser des mouvements rapides et répétitifs, comme par exemple ouvrir et fermer la pince pouce index. Le geste du côté atteint sera plus lent que du côté sain. D’autre part, et c’est pour ça qu’il faut un geste répétitif, plus le temps passe, plus le pré-moteur s’ennuie et plus il tente de laisser le pyramidal faire le geste tout seul (c’est comme un vélo électrique : en l’absence de charge, si vous arrêtez de pédaler le vélo fini par s’arrêter). Là, c’est pareil, en l’absence de NGC, si le pré-moteur arrête de donner l’impulsion, le pyramidal s’arrête et par conséquent, plus le temps passe plus le geste s’épuise du côté atteint, tout en restant bien rythmique du côté sain. Vous obtiendrez la même chose avec l’écriture. Elle sera lente et, comme le pré-moteur va essayer de transférer l’automatisme sans y arriver, plus le patient écrit, plus l’amplitude du mouvement diminue et plus les lettres sont petites et serrées : c’est la micrographie.

La rigidité se constate en demandant au patient de laisser sa main molle et en la mobilisant à sa place tout en saisissant avec une main les doigts et en posant votre autre main sur le poignet, l’index sur les tendons (c’est un peu notre Kāmasūtra, nous autres neurologues faisons l’examen clinique dans plein de positions différentes, histoire de maintenir la flamme). Vous allez sentir une résistance qui va céder par à-coups : c’est le phénomène de la roue dentée (pour ceux du fond qui comprennent tout de travers depuis tout à l’heure, pas de méprise : je ne vous encourage surtout pas à frapper vos patients pour reconstituer leur anamnèse). Le pré-moteur ne pouvant faire qu’une chose à la fois, si vous demandez au patient d’ouvrir et fermer le poing de l’autre main, la rigidité va augmenter sur le côté testé et la roue dentée sera encore plus prononcée : c’est la sensibilisation.

Les tremblements étant surtout présents quand le pré-moteur a autre chose à faire, ils se voient essentiellement au repos : c’est-à-dire quand l’attention est ailleurs. En revanche, si vous attirez l’attention du patient sur le membre qui tremble, ils vont cesser : disparition à l’action. Et si vous attirez l’attention du patient sur une autre tâche (exemple : calcul mental), les tremblements vont réapparaître. À des stades plus évolués de la maladie, cet aspect mono-tâche peut devenir extrêmement invalidant : par exemple, si le patient marche et que vous lui parlez, il sera obligé de s’arrêter pour vous répondre, ou pire il risque de tomber. Sa chute sera d’autant plus violente qu’en raison de l’akinésie et de la rigidité, le temps qu’il mette ses mains devant lui pour amortir la chute, son nez aura déjà tenté une fusion avec l’asphalte.

On peut obtenir des améliorations paradoxales en retournant ces symptômes contre eux : c’est ce que font les rééducateurs.
Par exemple, si le patient n’arrive pas à avancer ou piétine (freezing secondaire à la difficulté d’enclencher le programme « marche »), demandez-lui d’enjamber une marche imaginaire et il va repartir aussi sec. Idem en lui demandant de courir : un parkinsonien peut ne pas pouvoir marcher, et vous tracer à la course !

Vous pouvez également, et c’est psychologiquement assez pénible pour les patients mais utile dans certains cas, essayer d’individualiser ces handicaps à l’aide de deux ruses de Sioux, poétiquement nommées : la prison psychique et le test du carrelage. La prison psychique consiste à mettre le patient au milieu d’une salle au sol lisse et uni (aucune, mais alors aucune marque). Vous dessinez autour de lui un cercle. Un individu normal peut en sortir sans même se poser de question (même si en réalité, pendant une micro seconde le frontal a analysé la hauteur de l’obstacle et ordonné au pré-moteur de lever un peu plus le pied au cas où). Chez un parkinsonien, ça ne marche pas (ou alors à petits pas, haha) : le pré-moteur est incapable de trouver le programme « enjambement » et le patient reste enfermé dans le cercle alors que l’obstacle est virtuel. Le carrelage en est une version dérivée : vous demandez au patient de marcher sur un carrelage fait de petits carreaux. Chaque limite est pour lui un obstacle et il peut caler sans pouvoir avancer ou reculer, figé sur place.

Je vous entends déjà dire : « Écoute, t’es mignon (NDLA : c’est vrai), mais à part nous confirmer que vous les neurologues êtes de bons gros pervers, ça sert à quoi ces trucs ? »
Et bien figurez-vous que ce sont des causes de handicap permanent pour les parkinsoniens et que ça peut être utile d’en prendre conscience. Si vous bossez en cabinet, ou encore pire, en hôpital, regardez autour de vous : combien de lignes au sol, de seuils de portes ou de taches de couleur, sont présentes dans l’environnement ? Ce sont autant d’obstacles RÉELS et parfois INFRANCHISSABLES pour les parkinsoniens. Voilà pourquoi il existe une maltraitance GRAPHIQUE et ARCHITECTURALE envers eux. Mais essayez donc d’expliquer ça à un ingénieur des services techniques de votre hôpital, qu’on rigole…
Bon, mais sinon, pour le truc des neurologues pervers, c’est vrai aussi. La preuve : vous pensiez en avoir fini avec mes lubies et mes digressions, alors qu’en fait je poursuis avec une deuxième partie sur la conduite à tenir thérapeutique !

6 réflexions sur “La maladie de Parkinson pour tous (1) : stupeur et tremblements

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